Survie

Quelle justice en France pour les génocidaires rwandais ?

rédigé le 2 mars 2015 (mis en ligne le 1er mai 2015) - André Bigo

Alors que le tribunal pénal international mis en place pour juger les auteurs du génocide des Tutsi au Rwanda (le TPIR) en 1994 devrait fermer en 2015, seuls les tribunaux nationaux permettront désormais de juger les affaires qui ne l’ont pas encore été. En France, où bon nombre d’accusés de génocide résident, les obstacles matériels et politiques sont nombreux.

Comme l’indique le Collectif des
parties civiles pour le Rwanda
(CPCR) dans un communiqué du 4
février, «  le porte­-parole du TPIR a
annoncé que le Tribunal Pénal
International pour le Rwanda mettra fin à
ses activités le 30 septembre 2015. Ce n’est
pas la première fois que cette clôture est
reportée. On peut cependant croire que
cette date sera la bonne. 61 condam­nations dont 7 en appel (affaire Pauline
Nyiramasuhuko et consorts toujours pas
terminée), 14 acquittements mais aussi plus
de deux milliards de dollars dépensés
(1.644.759.300 dollars au 31 décembre
2011) pour juger moins de 100 personnes
qui étaient suspectées de participation au
génocide des Tutsi. Un mécanisme de suivi
continuera de s’occuper entre autres des
affaires confiées à des juridictions
nationales. Deux d’entre elles concernent
la justice française : Wenceslas
Munyeshyaka, prêtre à la paroisse de la
Sainte Famille à Kigali en 1994 et
actuellement à Gisors, en Normandie, et
Laurent Bucyibaruta, ancien préfet de
Gikongoro et résidant près de Troyes, en
Champagne Ardennes. On nous annonce la
fin prochaine de l’instruction dans ces deux
affaires : il serait temps !
 »

Cela signifie que les nombreuses personnes
soupçonnées d’avoir participé au génocide
des Tutsi et qui se sont réfugiées un peu
partout en Europe et en Afrique ne pourront
plus être poursuivies que par les
juridictions nationales.

La France concernée

Du fait de la proximité des autorités de
notre pays avec le régime qui a préparé le
génocide puis l’a ensuite mis à exécution,
de nombreux génocidaires (des dizaines,
voire des centaines) se sont sentis en
sécurité sur le territoire français et des
suspects se sont insérés dans le tissu social :
médecins des hôpitaux, prêtres dans les
églises, reconvertis dans la sécurité, etc...
Un « pôle crimes contre l’humanité » a été
créé au Tribunal de Grande Instance de
Paris en janvier 2012. Il a vocation à juger
ces génocidaires, et une trentaine de cas
sont en cours d’instruction suite à des
plaintes déposées principalement par le
CPCR. Un seul procès a eu lieu à ce jour
devant la justice française. Il a abouti à la
condamnation d’un ancien capitaine du
Service central de Renseignement
rwandais, Pascal Simbikangwa, à 25 ans de
prison pour génocide et complicité de
crimes contre l’humanité. Ce dernier a fait
appel, ce qui donnera lieu à un autre procès
dont la date n’est toujours pas fixée.

Deux gros problèmes se posent pour ces procès

Le premier est la lenteur des procédures
compte tenu des trop faibles moyens de ce
pôle judiciaire. A raison d’un procès par an,
il y en aurait pour 30 ans, ce qui est
inadmissible tant pour les victimes que
pour une bonne administration de la justice.
La position française est intenable car, si la
France a remis des suspects de génocide au
TPIR, elle a toujours refusé leur extradition
vers le Rwanda. Pourtant, selon le CPCR,
« les procès au Rwanda auraient eu
l’avantage de se dérouler près des lieux où
ont été commis les crimes, près des
victimes, et pour un coût tellement moindre.
De nombreuses démarches ont été faites en
direction des ministres français successifs
de la Justice. Tous ont pris la peine de
répondre, même avec cette fameuse « 
langue de bois » à laquelle nous sommes
habitués : seule madame Taubira est restée
silencieuse !
 ». Or les règles de droit sont
claires : si on n’extrade pas un présumé
génocidaire, il faut le juger.

Le second problème est d’ordre matériel :
que faire face aux difficultés financières
dans lesquelles vont se trouver les associa­tions ou les individus qui portent les plaintes pouvant aboutir à des procès, frais d’enquête
préalable, recueil de témoignages, frais
d’avocats, alors que tout ceci devrait relever,
soit de la responsabilité nationale, soit de la
communauté internationale ? Or l’État
français, par le biais du Parquet, n’a jamais
été à l’origine de poursuites.

Une justice entravée par le politique ?

Va­-t­-on continuer à laisser seuls et sans
soutien les associations ou les individus qui
portent ces plaintes contre des suspects de
génocide vivant en France, alors qu’étant
donnée la gravité du crime commis, les
poursuites relèvent à l’évidence de la
puissance publique ?

Si tel était le cas, faudrait­-il en conclure que
l’engagement de l’Etat français auprès des
responsables du génocide en 1994 se
perpétue aujourd’hui avec l’inaction des
procureurs de la République à l’égard des
nombreux présumés génocidaires présents
en France, ainsi qu’avec le refus
systématique de les extrader vers le
Rwanda, à la différence du TPIR et d’autres
pays européens ?

Compte tenu du déni dans lequel se trouve
le monde politique et militaire en France
quant à la politique menée au Rwanda,
cette question ne peut pas être écartée.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 244 - mars 2015
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi