Survie

Répressions en Rafale en Egypte

rédigé le 2 mars 2015 (mis en ligne le 1er mai 2015) - Raphaël Granvaud

La France a enfin trouvé un client pour l’avion de chasse de Dassault : l’Egypte... dont le régime est aujourd’hui décrit comme l’un des plus répressifs de la planète.

Petit rappel

Après 30 ans au pouvoir, le dictateur Hosni Moubarak fut contraint à la démission en février 2011 par un vaste mouvement populaire, auquel se sont opportunément ralliés les généraux. Le candidat des Frères Musulmans, Mohamed Morsi, fut élu à la première élection présidentielle qui suivit, en juin 2012. Après avoir modifié la Constitution par référendum et commencé à gouverner par décrets, il fut contesté par la rue dès janvier 2013, un prétexte qu’utilisa le maréchal Abdel Fattah Al­-Sissi pour le renverser en juillet au nom de l’union nationale. Un an plus tard, en juillet 2014, Al­ Sissi remportait l’élection présidentielle avec 96% des voix...

En Egypte, les manifestations célébrant les quatre ans de la révolution et la chute de Moubarak ont été durement réprimées : le 24 janvier, la poétesse et militante révolutionnaire Shaima al­-Sabagh était abattue d’un tir dans le dos alors qu’elle participait à une marche pacifique pour commémorer les victimes de la place Tahrir. Entre le 23 et le 26 janvier, «  les autorités égyptiennes ont tenté de dissimuler la mort d’au moins 27 personnes » affirme Amnesty international (01/02), tandis qu’« au moins 500 manifestants ­ parmi lesquels deux personnes handicapées et des enfants ­ et passants sont actuellement incarcérés dans des centres de détention non officiels à travers le pays ». Des chiffres qui viennent s’ajouter à un bilan déjà lourd depuis un an et demi : massacre de 700 partisans de Morsi lorsque l’armée a repris le pouvoir, 15000 emprisonnés de diverses obédiences et 1500 condamnés à mort par une justice d’abattage. Amnesty Interna­tional comme Human Rights Watch ont alors appelé les autorités françaises à « opposer un veto à d’éventuelles ventes d’armement à l’Égypte » en raison de cette répression « sans précédent depuis trente ans » (Reuters, 13/02).

Des armes pour un Etat criminel

C’est le lendemain de cette déclaration qu’ont été officialisées les négociations en cours avec ce régime sanguinaire, pour un contrat évalué à 5,2 milliards d’euros, portant sur la vente de 24 Rafale de Dassault Aviation, d’une frégate FREMM fabriquée par le groupe DCNS, mais aussi de divers missiles et autres gadgets militaires. L’été dernier, l’Egypte avait déjà signé l’achat de quatre corvettes Gowind de DCNS pour un milliard d’euros. On comprend mieux l’empresse­ment de François Hollande à être l’un des premiers dirigeants européens à accueillir le président Al­-Sissi il y a quelques semaines (Cf. Billets n°242, janvier 2015). On a d’ailleurs eu confirmation, depuis, que les négociations accélérées ont été suivies, de part et d’autre, au plus haut niveau, et notamment grâce à l’action de Jean­-Yves Le Drian, et aux bonnes relations que ce dernier entretient avec les autorités égyptiennes. Notre ministre de la Défense semble décidément s’être fait une spécialité des relations privilégiées avec les régimes les plus criminels. Il a d’ailleurs rendu hommage au président égyptien, « élu démocratiquement » (Reuters, 17/02), ce qui semble valoir absolution pour les crimes du régime militaire, pour lequel les oppositions les plus diverses relèvent du « terrorisme ». Le timide soutien à la révolution égyptienne de 2011, comme la demande du président français d’un « arrêt immédiat de la répression » en août 2013 après les premiers massacres, ont fait long feu.

Une vieille tradition

Du point de vue diplomatique, la France ne fait qu’emboîter le pas aux Etats Unis, qui, après avoir officiellement suspendu leur coopération financière (essentiellement destinée à l’armée), ont rapidement renoué les liens début 2014. « C’est un tournant dans notre relation bilatérale » a affirmé Le Drian à l’occasion de la signature du contrat (16/02). En réalité, c’est surtout une continuation directe des « relations très étroites » que le président Moubarak entretenait avec le président Sarkozy (selon une déclaration du quai d’Orsay d’avril 2007). Des relations qui n’étaient pas moins amicales sous Chirac ou Mitterrand, et revendiquées par bien d’autres membres de la classe politique française. C’est qu’à l’ombre du régime militaire, les intérêts économiques français ont depuis longtemps trouvé une terre accueillante (Cf. Billets n°158, mai 2007). Concernant les équipements militaires, si les Etats Unis restent le premier fournisseur de l’Egypte, cette dernière n’est pas mécontente de diversifier ses « partenaires » et la vente du Rafale n’est pas pour autant une première. « L’Egypte est une cliente déjà ancienne de l’aéronautique militaire française : elle avait acquis des Mirage­-3 après la guerre des six jours (1967), puis avait été en 1981 le premier acheteur étranger du Mirage­ 2000, réputé lui aussi invendable à l’époque » (Blog Défense en ligne, 13/02). D’autre part, les avions de chasse français présentent l’avantage de pouvoir être utilisés sans restriction par le régime, contrairement à ceux vendus par les Etats Unis, qui imposent des conditions d’utilisation à l’Egypte (Le Canard Enchaîné, 25/02).

Rafale (presque) invendable

Après une longue série d’échecs pour exporter le Rafale, ce contrat paraît en effet inespéré, pour ne pas dire miraculeux, aux yeux de l’industrie militaire et de l’État français, et explique les conditions avantageuses consenties. Ainsi « la Coface, donc la France, garantira 100 % de l’emprunt bancaire à des taux acceptables, similaires à ceux pratiqués pour un pays européen », a détaillé, vendredi 13 février, le ministère de la Défense (LeMonde.fr, 16/02). Un emprunt qui couvre près de la moitié du montant final, et bien entendu contracté auprès d’un pool de banques françaises. La France a également accepté une livraison accélérée voulue par l’Egypte pour les trois premiers avions fournis ainsi que pour la frégate : les appareils seront prélevés sur le contingent initialement destiné à l’armée française. Mais ce qui pourrait paraître ici une faveur est en réalité un soulagement : pour que Dassault puisse maintenir la chaîne de production, l’État s’est engagé sur des acquisitions annuelles qui risquaient de plomber le budget de la loi de programmation militaire si aucun autre acheteur n’était trouvé. Enfin, ce contrat vient consolider la place de la France sur le podium des principaux exportateurs d’armes, avec l’espoir de dépasser les 10 milliards d’euros de prises de contrats en 2015, contre 8,065 milliards en 2014, qui était déjà une année faste.

Vieilles et nouvelles rengaines

Face aux critiques des ONG et de quelques (rares) personnalités politiques, les autorités françaises ont invoqué d’une part la sacro­-sainte « stabilité » et d’autre part les impératifs de la guerre contre le terrorisme : « l’essentiel c’est d’avoir un grand pays comme l’Egypte stabilisé pour assurer demain la stabilité globale de la zone », a par exemple expliqué Le Drian (Libération.fr, 16/02). On sait qu’il n’y a pas plus stable qu’un régime autoritaire... jusqu’à sa chute. « Ces équipements permettront à l’Égypte d’accroître sa sécurité et de jouer tout son rôle au service de la stabilité régionale », a renchéri Hollande. C’est bien entendu de la Libye qu’il s’agit, où les armées française et égyptienne ont des vues convergentes sur la méthode à appliquer pour éradiquer l’organisation « Etat islamique ». En représailles au meurtre de 21 chrétiens coptes, l’armée égyptienne a d’ailleurs bombardé des positions de l’État islamique en Libye le jour même de la signature du contrat avec la France, qui a approuvé l’opération. Peu importe que celle­-ci ait occasionné au passage des victimes civiles, dont un enfant. « Non seulement ces politiques ne résolvent rien, ne protègent pas les populations, mais elles créent les conditions de la radicalisation des victimes de ces représailles, et favorisent le recrutement des groupes armés », a déploré Amnesty International à l’occasion de la publication de son rapport annuel (L’Express.fr, 25/02). La « stabilité » et le terrorisme ont donc de beaux jours devant eux.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 244 - mars 2015
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