Survie

Le Togo du clan Eyadema, depuis 1963, un coup d’État permanent

rédigé le 1er avril 2015 (mis en ligne le 30 septembre 2015) - Fabrice Tarrit

Le général Gnassingbé Eyadema est décédé le 5 février 2005 après 38 ans d’un règne sans partage qui a conduit un tiers de la population togolaise à s’exiler. Son régime, aujourd’hui conservé sous la coupe familiale par Faure Gnassingbé, est une figure emblématique de la Françafrique.

Manifestation co-organisée par Survie aux Invalides le 25/04/2005

Après s’être engagé dans l’armée française, Étienne Gnassingbé Eyadema rentre au Togo en 1962. Le 13 janvier 1963, il participe à l’assassinat du premier président et père de l’indépendance togolaise, Sylvanus Olympio, qu’il revendiquera tout au long de son règne.

Les putschistes et leur commanditaire français (Jacques Foccart) remplacent Sylvanus Olympio par Nicolas Grunitzky, mais Eyadema est déjà l’homme fort du régime. Il écartera Grunitzky le 13 janvier 1967 et prendra officiellement le pouvoir trois mois plus tard, le 15 avril, devenant président de la République togolaise.

Terreur, clanisme et prédation

Le régime d’Eyadema est à l’image de son accession au pouvoir, un régime de terreur, marqué par la violence, les menaces à l’encontre des opposants, les tortures, les enlèvements, les disparitions forcées. L’armée a toujours joué un rôle prépondérant dans le maintien de cette dictature (jusqu’au coup d’État de Faure Gnassingbé en février 2005). Le régime d’Eyadema comptait 13 000 militaires à la fin des années 1990, soit un soldat pour 300 habitants, tous commandés par l’entourage et la famille d’Eyadema, recrutés en très grande majorité parmi la population kabiyé du Nord du pays (la région d’Eyadema). Tout au long de son règne, un véritable culte de la personnalité est voué au dictateur : statues et affiches à son effigie, chants religieux laudateurs...

Le clan Eyadema se livre à un pillage massif des ressources du pays, en particulier les revenus de l’exploitation du phosphate. Clanisme et népotisme sont la règle : tous les postes clés de l’administration et de l’économie sont occupés par un parent ou un proche. Cette prédation des richesses, assortie d’une gestion désastreuse de l’économie nationale, conduit progressivement le pays à la ruine. Le Togo, un temps qualifié de « Suisse de l’Afrique » grâce à ses nombreuses ressources naturelles (phosphate, café, cacao), est soumis dès le début des années 1980 aux plans d’ajustement structurels du FMI et de la Banque Mondiale. On assiste alors à une paupérisation alarmante de la population.

Pendant 38 ans, le régime se maintient dans l’indifférence absolue de la communauté internationale, rassurée et aveuglée par la « stabilité » incarnée par Eyadema. Il bénéficie surtout d’un soutien politique, économique et militaire sans faille de la France.

Les expériences « démocratiques » écrasées

Suite au procès politique de deux étudiants, de violentes manifestations ont lieu dans tout le pays en octobre 1990, causant plusieurs dizaines de morts. Eyadema est contraint de concéder le multipartisme et d’organiser en 1991 une conférence nationale souveraine (CNS), censée déboucher sur une « transition démocratique ». Mais le général essaie par tous les moyens d’en bloquer le fonctionnement, la division au sein même de l’opposition lui facilitant la tâche. Dès le début, le président togolais s’oppose à l’ordre du jour ainsi qu’aux orientations de cette conférence. L’armée refuse de soutenir les institutions de transition, notamment le Premier ministre Koffigoh. La volonté de la CNS d’évincer Eyadema de ses prérogatives et de dissoudre le parti unique RPT amènent l’armée à organiser un coup de force le 3 décembre 1991.

À partir de cette date commence une période de troubles, durant laquelle l’opposition est victime de violentes répressions. Gilchrist Olympio, fils du premier président et principal opposant à Eyadema, échappe à une tentative d’assassinat le 4 mai 1992. Tavio Amorin, leader du parti socialiste panafricain, est assassiné la même année. Eyadema est ensuite rétabli dans ses prérogatives et organise un référendum, à l’issue duquel la Constitution de la IVe République est approuvée à 99 % des suffrages.

En novembre 1992, les syndicats lancent un appel à la désobéissance civile. C’est le début d’une grève générale qui durera huit mois. Les élections présidentielles et législatives censées se tenir durant la période de transition sont reportées au 25 août 1993 par les accords de Ouagadougou. Malgré les contestations internationales, Eyadema remporte le scrutin avec 96,49 % des suffrages exprimés. L’Union européenne suspend sa coopération.

Les présidentielles de 1998 et 2003

Les élections, législatives ou présidentielles, qui sont organisées depuis la conférence nationale sont à leur tour discréditées par de graves irrégularités, du recensement à la distribution des cartes d’électeurs, en passant par le déroulement même du scrutin et la centralisation des résultats. Les membres de la famille d’Eyadema sont toujours placés aux postes stratégiques. Le RPT, parti au pouvoir, s’assure du contrôle des institutions nationales, ce qui lui permet de réformer les codes et la Constitution dans le but d’éliminer les possibilités pour l’opposition de s’imposer sur la scène politique.

Les élections présidentielles de 1998 se déroulent suivant cette mécanique bien huilée. Alors que les bulletins des Togolais se sont massivement portés sur Gilchrist Olympio, l’armée interrompt le dépouillement pour l’organiser elle­ même à huis clos. Eyadema est déclaré vainqueur. Les protestations sont, comme à l’accoutumée, violemment étouffées. Le chef de l’État togolais s’engage alors à respecter la Constitution, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels.

Mais le Parlement supprime cette disposition afin de donner au dictateur la possibilité de se présenter une nouvelle fois.

En mai 1999, Amnesty International publie un rapport accablant qui suscite la colère d’Eyadema, notamment parce qu’il dénonce plus de cent exécutions extrajudiciaires commises par le régime. En juillet de la même année, Jacques Chirac, de passage au Togo, prend fait et cause pour le dictateur en déclarant, au sujet de l’enquête d’Amnesty International, qu’il s’agit « dans une certaine mesure, d’une opération de manipulation ».

Diverses modifications de la Constitution et du Code électoral verrouillent encore davantage le scrutin présidentiel de 2003. Une clause de résidence permet d’écarter Gilchrist Olympio, réfugié à l’étranger. Eyadema se représente à la Présidence, contrairement à sa promesse solennelle. En France, l’association Survie lance sa campagne France­-Togo, pour une politique respectueuse des peuples et fait pression sur les autorités françaises pour qu’elles refusent de cautionner une nouvelle mascarade électorale. En vain.

Eyadema décède le 5 février 2005. Son fils, Faure Gnassingbé lui succède dans un bain de sang. Il est réélu en 2010, à l’issue d’une nouvelle mascarade électorale, après avoir fait modifier la Constitution pour imposer le scrutin uninominal à un tour à la présidentielle Le clan Eyadema est toujours au pouvoir au Togo et s’apprête à « rempiler » à l’issue de la présidentielle du 15 avril 2015.

Texte actualisé issu du rapport « Avril 2005, le choix volé des Togolais » (coord. Fabrice Tarrit, éd. L’Harmattan)

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 245 - avril 2015
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