Survie

Pour en finir avec les 0,7 %

rédigé le 3 juin 2015 (mis en ligne le 11 juillet 2015) - Thomas Noirot

L’aide publique au développement (APD)
est en général présentée comme un
instrument politique nécessairement
généreux et utile. Certes, de plus en plus
d’acteurs de la solidarité internationale
conviennent que le concept de « 
développement » est porteur d’une vision
ethnocentrée critiquable, mais ce ne serait
qu’une sorte de « moindre mal ». La
coalition française Coordination Sud et
nombre de ses membres (des associations
de développement) dénoncent donc avec
constance le fourre-tout que constitue
l’agrégat comptable de l’APD... mais
sans interroger le bien fondé de cet
instrument. L’histoire de l’APD montre
pourtant sa filiation avec la politique
coloniale, dotée comme elle de
programmes financiers et habillée d’une
« planification » défendue au titre de
l’œuvre civilisatrice : une filiation à peine
dissimulée par le changement de nom du
ministère des Colonies, devenu ministère
de l’Outre­-Mer en 1946 avant que les
premières indépendances n’amènent le
général de Gaulle à créer en parallèle
celui de la Coopération en 1959, avec une
partie de son personnel. Mais le point de
départ le plus pertinent pour parler
« d’aide au développement » constitue le
discours du président états­-unien
Truman, en 1949, lorsqu’il évoqua la
nécessité « d’aider au développement du
reste du monde
 ». S’inscrivant dans la
droite lignée du Plan Marshall, où
l’équivalent de plus de 100 milliards de
dollars actuels furent injectés dans
l’économie européenne de 1948 à 1951,
ce discours appelait à lutter non pas
contre les causes des injustices frappant
les populations des pays dits du « Sud »,
mais contre leurs effets potentiels : il
s’agissait de contenir l’expansion du
communisme, tout en ouvrant des
marchés aux entreprises américaines.
Quoique veuillent en faire les
associations aujourd’hui, l’aide au
développement est ainsi historiquement
liée à des enjeux de contrôle politique et
économique.

Le chiffre mystère

Bien que les ONG de développement
persistent à vouloir en quelque sorte
réinventer l’APD, il semble
incompréhensible qu’elles continuent de
brandir un chiffre-­étendard : les fameux
0,7 %. Il s’agit de la part du Revenu
National Brut (RNB, dans les faits très
proche en valeur du Produit Intérieur
Brut, plus connu) que les pays dits
« riches » s’étaient engagés à consacrer à
verser comme APD, un plancher que la
France tente d’atteindre par tous les
moyens (lire pp. 8 à 10). Cet objectif
chiffré avait été une première fois évoqué
comme « souhaitable » par les Nations
unies, en 1970, dans la déclaration de la
Deuxième décennie du développement,
et reste depuis une constante des
déclarations de bonnes intentions. Il vient
pourtant d’une estimation au doigt
mouillé, « validée » ensuite par des
calculs universitaires abscons et des
négociations politiques. C’est d’abord le
Conseil mondial des Eglises, basé à
Genève, qui, constatant que la charité ne
pourrait pas suffire à lutter contre la
pauvreté, a proclamé en 1958 un objectif
symbolique : il faudrait que les flux de
capitaux publics et privés à destination
des pays « pauvres » doublent, donc qu’ils
atteignent 1 % de la richesse produite par
les pays « riches », au lieu de 0,5 % en
1955. Ces flux privés et publics ont de
fait augmenté jusqu’à dépasser les 0,8 %
en 1960, année où l’Assemblée générale
de l’ONU a repris à son compte l’objectif
de 1 %. Deux ans plus tard, des
économistes calculèrent que les flux
« nécessaires » au « décollage vers une
croissance autosuffisante
 » atteignaient
justement 1% du RNB de l’époque des
donateurs. Ces universitaires ne
prescrivirent pas la part de capitaux
privés et celle d’aide publique : elles
furent le fruit d’années de discussions
dans les instances
intergouvernementales, qui finirent par
s’accorder sur le 0,7 % en APD comme
une impulsion publique nécessaire pour
atteindre les 1 %. Et depuis la conférence
de Monterrey en 2002, ce 0,7 %
« souhaitable » est devenu un
engagement pour prétendre financer les
célèbres Objectifs du Millénaire pour le
Développement (OMD). L’ironie, c’est
qu’en 2005, deux économistes du Center
for Global Development, Michael
Clemens et Todd Moss, ont repris les
calculs réalisés au début des années 60.
Avec les mêmes critères, sur la base du
RNB de 2003 des pays donateurs, ils ont
montré que le besoin en capital
« nécessaire » des pays en
développement pour initier une
« croissance autosuffisante » était
inférieur aux flux actuels, et que le
financement des OMD nécessitait alors
0,35 % à 0,54 % d’aide, donc moins que le
0,7 % fétiche. La preuve mathématique,
si besoin était, que cet objectif ne
correspond à rien de valable et qu’il faut
agir sur les causes politiques plutôt que
de réclamer 0,7 % d’APD.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 247 - juin 2015
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