Survie

Arrestations politiques, silence diplomatique

rédigé le 1er octobre 2015 (mis en ligne le 26 octobre 2015) - Alice Primo

Deux mois après la visite de François Hollande, le régime de Paul Biya fait à nouveau la démonstration de son autoritarisme. Pas de quoi gêner la diplomatie française.

Paul Biya l’a assuré, à côté du président français, le 3 juillet à Yaoundé : il n’est « pas à la tête d’un État par la force », ajoutant un peu après que « la justice au Cameroun est totalement indépendante. Même s’il arrivait à l’exécutif de vouloir l’influencer, l’exécutif ne réussirait pas ». François Hollande, comme à son habitude lorsqu’il tente de concilier préservation des intérêts et sauvetage de son image au côté d’un dictateur africain, est resté stoïque, faisant mine de se détacher du propos. Seulement a-t-il essayé, lors de son tour de parole dans la conférence de presse où la lutte contre Boko Haram avait occupé la place principale, d’asséner que « il ne peut pas y avoir de développement sans sécurité. Il ne peut pas non plus y avoir de développement sans démocratie. (…) Nous sommes également attentifs à la liberté d’expression et aux droits de l’Homme, et je sais que sur le plan de la justice nous avons une coopération avec la justice camerounaise, la justice française, qui doivent être des justices indépendantes » (sic). Un ton de préconisation pour faire mine de condamner, une évocation lisse et encourageante pour ne pas froisser… Bref, un paternalisme qui ne gêne personne, surtout pas Biya qui avait pris soin d’évoquer dès le début de supposés « progrès enregistrés dans le processus de consolidation de [la] démocratie » camerounaise.

Terreur anti-terroriste

Deux mois plus tard, la « sécurité » évoquée par Hollande était le prétexte à l’arrestation au nord du Cameroun de Claude Linjuom Mbowu, ressortissant camerounais en doctorat en France. Cofondateur de l’Association pour la défense des étudiants camerounais (ADDEC), un syndicat étudiant étiqueté comme opposant, son arrestation le 6 septembre à son retour de la région d’Extrême-Nord, où sévit la guerre contre Boko Haram, a inquiété ses proches qui n’ont cessé de se mobiliser jusqu’à sa libération 8 jours plus tard. Finalement, sa détention arbitraire a mis en lumière les arrestations que subissent des centaines d’anonymes… Justement, le 15 septembre, l’ONG Amnesty International publiait un rapport (téléchargeable ici) sur les crimes commis dans la région par Boko Haram, qui recensait de nombreuses exactions commises par l’armée camerounaise au nom de la « lutte contre le terrorisme » : destruction de maisons, exécutions, arrestation de plus d’un millier de suspects (dont des enfants de 5 ans !), disparition de 130 personnes, cas « mystérieux » de la mort de 25 personnes en garde à vue, que le gouvernement explique avec une fausse naïveté par une « intoxication chimique collective après ingestion de produits chimiques et traditionnels non identifiés »...

Tabou de l’alternance

A Yaoundé, les autorités camerounaises ont procédé à l’arrestation de neuf personnes les 15 et 16 septembre, au prétexte d’une réunion publique non déclarée. Problème, la réunion était un atelier de travail du réseau national Dynamique Citoyenne dans une salle louée pour l’occasion, bien loin d’une manifestation ; et la violence des arrestations du 15, dont témoignent les vidéos qui ont largement circulé sur le web, montre qu’il ne s’agissait pas d’un simple souci administratif. Il s’agissait en fait d’un atelier sur le thème « Gouvernance électorale et alternance démocratique », pour lancer au Cameroun la campagne internationale « Tournons la Page », qui pose comme préalable à la démocratie la possibilité d’une alternance au pouvoir… Impensable, au pays de Paul Biya. Six personnes (dont un journaliste) ont été arrêtées sur place et se sont vues notifier une « garde à vue administrative », une procédure normalement prévue dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme. Soudainement placés en garde à vue judiciaire le lundi suivant, ils ont finalement été remis en liberté le 23 septembre, mais sont convoqués au tribunal le 28 octobre pour « désobéissance aux autorités administratives et policières et rébellion ». Mais qu’on se rassure, la justice camerounaise est indépendante...

Ce motif d’inculpation n’explique d’ailleurs pas l’arrestation et la détention pendant plusieurs heures des trois autres militants de Dynamique Citoyenne, le lendemain de l’atelier, ni la perquisition du siège de l’association. Et le harcèlement continue : le 1er octobre, la police a à nouveau investi les locaux. La réunion qui s’y tenait, bien qu’interne à Dynamique Citoyenne, serait selon les autorités « de nature à porter gravement atteinte à l’ordre public ». Comme le dénonce une pétition en ligne destinée à soutenir l’association, « parce qu’elle évoque le tabou de l’alternance démocratique, Dynamique Citoyenne n’a de fait plus le droit de se réunir sans solliciter d’autorisation préalable » [1].

La France suit

Jouant à Yaoundé avec le droit comme avec la violence à l’Extrême-Nord, le régime camerounais vient à nouveau d’illustrer sa nature profondément répressive et liberticide, deux mois après la visite de François Hollande. La diplomatie française, comme à l’accoutumée, est restée muette. L’ambassadrice à Yaoundé, qui au sujet des militants de Dynamique Citoyenne a reçu comme son homologue camerounais en France des dizaines de courriels lui demandant « de prendre toutes les mesures en [son] pouvoir pour obtenir leur libération immédiate et sans condition », s’est contentée d’une réponse automatique polie, la disant « bien informée de cette affaire, suivie de près en liaison avec [ses] collègues de l’Union européenne ». Même un mot de condamnation publique, c’est trop demander.

[1sur avaaz.org

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 250 - octobre 2015
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