Survie

Sassou franchit le pas

rédigé le 1er octobre 2015 (mis en ligne le 19 octobre 2015) - Thomas Noirot

Crainte mais attendue depuis des mois, l’annonce est tombée : Sassou Nguesso convoque un référendum pour changer « sa » Constitution.

Annoncée par la presse d’opposition dès la veille (zengamambu. com, 21 septembre), l’intervention préenregistrée du dictateur Denis Sassou Nguesso a été diffusée à la télévision congolaise le mardi 22 septembre : il y informait « son peuple », pourtant excédé par trente années cumulées de pouvoir du vieux général, de l’organisation prochaine d’un référendum sur la Constitution. L’enjeu, connu (Cf. Billets n°238, septembre 2014), est de faire sauter les verrous susceptibles de l’empêcher de se présenter à sa succession l’année prochaine.

La pilule, amère, est surtout explosive : l’opposition, qui a réussi à se fédérer autour d’un front de refus de ce passage en force (Cf. Billets n°249, septembre 2015), a organisé le dimanche suivant un meeting rassemblant une foule immense, 100 à 300 000 personnes selon les estimations. Les rumeurs selon lesquelles le parti au pouvoir armerait des jeunes n’ont pas suffi à démobiliser, pas plus que les événements ridicules organisés par les pro-Sassou (comme la « fête de la rentrée ») n’ont servi de contrefeux. La marée humaine a amplifié le signal propagé depuis des semaines par les réseaux sociaux sous le mot d’ordre « #Sassoufit » !

PS incisif, gouvernement aphone

Parmi les condamnations de cette annonce, celle du Parti socialiste surprend positivement : Maurice Braud, le nouveau Secrétaire national à l’International, qui avait déjà condamné sans ambiguïté le putsch au Burkina une semaine plus tôt, a avec son adjointe exhorté Sassou à « renoncer à son projet de coup d’État constitutionnel qui risquerait de faire retomber le pays dans les drames du passé et de déstabiliser la région ». Il a même appelé « les Nations Unies, l’Union africaine et l’Union européenne à agir pour empêcher la tenue de ce référendum et faire respecter l’ordre constitutionnel et le calendrier électoral de 2016 ». L’occupant socialiste de l’Élysée ne doit pas se sentir engagé par son parti… qui ne s’est pas adressé à lui. Dommage, car au niveau de l’exécutif, c’est silence radio. L’Élysée ne commente pas, et le Quai d’Orsay, interrogé lors du point presse du 23 septembre, répond tout en langue de bois qu’au Congo, « la France appelle de ses vœux un processus électoral crédible conduisant à des scrutins libres et transparents, dans le respect de l’État de droit et des libertés publiques ». Un appel à frauder discrètement plutôt qu’à reculer… Pour la diplomatie française, François Hollande a tout dit au Sommet de la Francophonie de Dakar le 30 novembre 2014, au cours duquel il avait célébré la « leçon » burkinabè supposée faire réfléchir « là où les règles constitutionnelles sont malmenées et où l’alternance est empêchée  », et asséné que « la francophonie est soucieuse des règles en démocratie, de la liberté du vote, du respect des lois constitutionnelles et de l’aspiration des peuples, de tous les peuples à des élections libres ». C’est peut-être à sa contradiction que veut implicitement le renvoyer le PS, qui dénonce un objectif « de violer à la fois la Charte de la démocratie de l’Union africaine et la Constitution congolaise ». Mais en évitant de l’interpeller directement, son parti joue surtout, volontairement ou naïvement, la bonne caution morale d’un gouvernement qui, de son côté, a choisi de maintenir de bonnes relations avec un régime qui pratique couramment torture et détentions arbitraires, instrumentalisation de la justice à des fins de contrôle politique, détournement systématique du budget de l’État. Mais un régime, seule chose qui compte, qui préserve les intérêts français.

Légion d’horreur

L’Élysée n’a donc rien retenu de la « leçon » burkinabè hypocritement célébrée à Dakar : la légion d’honneur du général putschiste burkinabè a été largement commentée à la chute de ce dernier, qu’attend François Hollande pour retirer celles attribuées en 2011 et en 2014 [1] à deux officiers piliers du régime de Sassou Nguesso ? De même, l’annonce trop tardive de la suspension de coopération militaire avec le Burkina (lire p. 4) montre que c’est une sanction possible : à Brazzaville comme à Ouagadougou, la France attendra-t-elle que le vent tourne en défaveur de ses alliés pour enfin s’en démarquer autrement que par des déclarations évasives ?

François Soudan, le directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Jeune Afrique, n’est pour sa part pas du tout évasif. Sa tribune « Aux urnes Congolais ! » (28/09), qui aurait pu être rédigée par le service de communication de Sassou, appelle ouvertement l’opposition congolaise à accepter le référendum et à plutôt « faire pression pour que le scrutin soit entouré du maximum de garanties ainsi que de toute la transparence nécessaire ». L’auteur, qui revendique le regard d’un « observateur un tant soit peu dépassionné » est, rappelons-le, marié à une nièce de Sassou Nguesso, Arlette Soudan-Nonault, qui aime son tonton au point d’être membre du bureau politique du parti-État… La défense de l’image, chez les Nguesso, c’est une histoire de famille. Ainsi, au milieu de ce calendrier électoral, la belle-fille du général-président, Danielle Sassou Nguesso, défend l’art à Paris. Outre sa visite très appréciée à l’exposition « Beauté Congo » de la Fondation Cartier le 24 septembre, elle vient de faire produire par l’agence parisienne SPOA une série de courts films très esthétiques à la gloire du Congo-B., aux doux titres tels que « Another Congo », « Welcome to Brazza » ou encore « Ordinary Heroes », où il n’est évidemment pas question des militants qui osent braver le système sécuritaire local.

Mais entre la famille de Sassou et Paris, il y a aussi un lien qui intéresse la justice française : celle-ci vient de faire saisir deux biens immobiliers, dont la villa Suzette, rendue célèbre depuis le début de l’affaire dite des Biens mal acquis. Malgré un montage de sociétés écrans, les juges d’instruction pensent que leur propriétaire est un neveu du dictateur, Wilfrid Nguesso (Le Monde, 29/09). Il faut dire que Paris est si accueillante …

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 250 - octobre 2015
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