Survie

Pas de tabou, mais pas de changement non plus

rédigé le 1er novembre 2015 (mis en ligne le 16 décembre 2015) - Alice Primo

La réunion des ministres de la zone Franc a permis, une fois de plus, d’évacuer toute
critique trop radicale du Franc CFA. Paris s’en tient à des aménagements à la marge.

Le dictateur tchadien Idriss Deby
avait fait sensation cet été en tenant
des propos très critiques sur le franc
CFA – qui relevaient en réalité d’une
posture et sans doute d’un marchandage
avec Paris (cf. Billets n°249, septembre
2015
), à l’instar de ceux tenus dans Paris
Match par le Congolais Sassou Nguesso
un an et demi plus tôt (cf. Billets n°231,
janvier 2014
). La réunion semestrielle des
ministres des Finances et des gouverneurs
des banques centrales de la zone franc, qui
s’est tenue à Paris le 2 octobre, a permis de
clarifier les choses.
Mais précédée par la médiatisation de la
cabale lancée par le Directeur national de
la Banque centrale d’Afrique de l’Ouest,
Kossi Tenou, contre l’économiste Kako
Nubukpo (ses critiques du franc CFA lui
ont coûté son siège de ministre au Togo),
cette sortie très intéressée de Deby a
remis la monnaie coloniale dans le débat
public. Quelques jours avant la réunion,
Jeune Afrique (27/09) citait un proche de
l’Elysée : « il n’y a aucun doute, le
ministre français des Finances et du
Budget, Michel Sapin, mettra les points
sur les « i » et demandera clairement aux
dirigeants africains de prendre leurs
responsabilités. Hélène Le Gal [la conseillère
Afrique de François Hollande]
est favorable au principe du débat et ne
considère guère la question du franc CFA
comme un tabou »
. Rien n’a filtré dans le
communiqué final, mais les quelques
réponses de Michel Sapin à la presse ont
été largement gonflées dans les médias
pro-gouvernementaux
de certaines
dictatures françafricaines. Pour Les
Dépêches de Brazzaville
(6/10)
, « la
France met les pays africains au pied du
mur »
. Cette feuille de choux pro-Sassou
met en avant que le ministre français
aurait affirmé que « la France est
entièrement ouverte à toutes les
discussions. Tous les pays-membres
de
cette zone monétaire sont libres et
indépendants, ils peuvent donc demander
à rediscuter les accords monétaires qui
les lient à la France. (…) Rien n’est figé
ni tabou »
. Dans son article « le débat est
ouvert sur l’Avenir du Franc CFA »,
Cameroon Tribune (6/10) va encore plus
loin : « D’après Paris, les États africains
sont libres de rester ou de sortir de la
zone Franc
 ». Chiche ? Sauf que si un
Etat doit sortir, c’est plutôt la France...

Coup de pouce financier

La « discussion », pour le moment, devrait
en réalité se limiter à une petite révision
favorable au budget tchadien. En effet,
selon Jeune Afrique (11/10) « le franc CFA
a bien fait l’objet de quelques explications
entre Michel Sapin, le ministre français
des Finances, et Lucas Abaga Nchama, le
gouverneur de la Banque des États de
l’Afrique centrale (Beac), lors du petit-déjeuner
de travail qui s’est tenu à huis
clos ce jour-là.
D’après nos informations,
Nchama a assuré au ministre français que
le Tchad n’avait aucune intention
d’abandonner le franc CFA et que les
propos d’Idriss Déby Itno avaient été
sortis de leur contexte. D’après une source
proche des participants à cette réunion, "le
Tchad [dont le président a d’ailleurs été
reçu quelques jours plus tard par François
Hollande] mais aussi les autres pays de la
CEMAC souhaiteraient que, dans le cadre
de l’accord monétaire qui les lie au Trésor
français, des dispositifs soient mis en place
pour les aider à faire face à des situations
de crise grave »
. En clair, une demande
de facilités financières auprès de la
Banque des Etats d’Afrique centrale.
Gageons que la France, qui a l’habitude de
dépasser largement son budget militaire
prévisionnel au titre de la « guerre contre
le terrorisme », saura demander à son
Trésor public d’étudier cette demande
pour aider le frère d’armes Deby à financer
l’effort de guerre…

Rappel

La Zone franc est le système monétaire
et économique qui lie quinze pays à la
France, au travers de 3 zones
monétaires : UEMOA (Union économique
et monétaire ouest-africaine
 :
Bénin, Burkina-Faso,
Côte d’Ivoire,
Guinée-Bissau,
Mali, Niger, Sénégal,
Togo), CEMAC (Communauté économique
et monétaire de l’Afrique
centrale : Cameroun, Centrafrique,
Congo-Brazzaville,
Gabon, Guinée
Équatoriale, Tchad) et les Comores. Ce
système est directement hérité du franc
des Colonies Françaises d’Afrique
(CFA), créé par De Gaulle en 1945 afin
de préserver le commerce colonial de
l’impact des dévaluations successives du
franc de la métropole. Aujourd’hui, CFA
veut dire « Communauté Financière
Africaine » en Afrique de l’Ouest, et
« Coopération Financière de l’Afrique
centrale », et ces quinze pays doivent
déposer 50% voire 65 % (pour les
Comores) de leurs réserves de change
sur un compte d’opérations au Trésor
public français, dont des représentants
siègent au sein des Conseils
d’administration des banques centrales,
avec une minorité de blocage. Outre
cette atteinte directe à leur souveraineté,
les pays africains de la zone franc
disposent d’une libre convertibilité vis à
vis de la France, mais pas pour les
échanges entre les trois zones
monétaires. Ce principe facilite donc les
investissements français et européens en
Afrique, le rapatriement de capitaux et
l’importation de matières premières,
mais bloque les échanges inter-africains.
Au passage, la politique de change étant
la même dans la zone franc et la zone
euro, les décisions de la Banque centrale
européenne (sur lesquels les États
africains n’ont aucune emprise) et les
fluctuations de l’euro par rapport aux
autres monnaies mondiales se répercutent
directement sur l’économie de la
zone franc. Les économies nationales,
généralement fortement extraverties,
subissent de plein fouet les chutes de
compétitivité de leurs exportations
qu’un Euro « fort » peut entraîner.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 251 - novembre 2015
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