Survie

Terreur d’état à Djibouti

rédigé le 1er janvier 2016 (mis en ligne le 16 janvier 2016) - Jean-Loup Schaal

Pour tenter de conserver sa présence à Djibouti, la diplomatie française sacrifie une fois de plus la
population, les opposants et les défenseurs des droits humains livrés à la répression sanglante du
régime.

Aux élections législatives du 22 février
2013 à Djibouti, l’USN (Union pour le
Salut National, qui regroupe les 7
partis d’opposition) avait présenté des
candidats après plusieurs scrutins boycottés.
Officiellement la coalition (UMP) qui soutient
le dictateur Ismaël Omar Guelleh, au pouvoir
depuis 1999, obtenait 80% des suffrages et
remportait 55 sièges sur 65 à l’Assemblée
nationale.
Les responsables de l’USN et de nombreux
observateurs indépendants avaient protesté
contre une fraude massive, loin du satisfecit
émis par Bruxelles et par la France :
l’opposition aurait obtenu selon elle la
majorité absolue dans toutes les
circonscriptions (cf. Billets n°223, avril 2013).
Le Gouvernement djiboutien a toujours refusé
de publier les résultats détaillés par
circonscription, ce qui accrédite la thèse d’une
manipulation massive.
L’opposition refusa de siéger tant qu’il n’y
aurait pas d’accord avec le Gouvernement sur
un texte reconnaissant son statut et ses droits
et instituant une Commission électorale
indépendante. Après un accord conclu fin
décembre 2014 mais jamais mis en œuvre, la
situation est restée bloquée.
En octobre 2015, contrairement à ses
déclarations précédentes, le Président Guelleh
a annoncé qu’il se représenterait en avril 2016
pour un 4ème mandat.
En dépit d’une manifestation « de soutien
forcé » des fonctionnaires, début novembre
2015 l’immense majorité de la population a
manifesté son opposition à ce quatrième
mandat à plusieurs reprises. La répression de
ces manifestations a été dure et des militants
ont été emprisonnés.
Le Gouvernement a décrété la mise en
place d’un état d’urgence dans le pays (plus
rigoureux que le français, limitant
drastiquement les libertés individuelles),
décision ratifiée par l’Assemblée nationale le
27 décembre, hors la présence des
députés de l’opposition expulsés
avant le scrutin par les gendarmes.

Massacres du 21 décembre

Le 21 décembre 2015 au matin,
une commémoration religieuse
annuelle de la tribu Issa / Younis
Moussa, autorisée à l’origine par le
ministre de l’Intérieur, a été encerclée
par des forces de police qui ont tiré
sur les femmes, hommes et enfants qui y
assistaient. La Ligue djiboutienne des droits
humains (LDDH) a établi un première liste
non exhaustive de 62 morts ou disparus
(probablement jetés en mer), 52 blessés et 13
arrestations.
Plus tard, dans l’après-midi,
un groupe de
policiers cagoulés et armés a investi le
domicile d’un dirigeant de l’USN qui avait
réuni ses militants pour faire le point sur le
massacre de la matinée. Les policiers ont tiré
sans sommation, blessant gravement le
Président de l’USN Ahmed Youssouf, atteint
par plusieurs balles, le député de l’opposition
Saïd Houssein Robleh (secrétaire général de la
LDDH) et l’ancien ministre Hamoud Abdi
Souldan. Abdourahman Mohamed Guelleh a
pour sa part été sauvagement tabassé.
Les blessés ont été pris en charge aux
urgences de l’hôpital militaire français
Bouffard, où ils ont été soignés et opérés. Les
forces armées djiboutiennes ont alors encerclé
l’hôpital, mais cette provocation n’a pas
semblé émouvoir la diplomatie française.

Mensonges français

L’Association pour le respect des droits
humains à Djibouti (ARDHD) a alerté
l’ambassadeur de France à Djibouti Serge
Mucetti (sur le départ le 31 décembre 2015),
pour appuyer la demande d’asile et protection
faite par Saïd Houssein Robleh. Le diplomate a
déclaré prendre la situation en main. Mais bien
qu’ayant affirmé qu’il pouvait rester à l’hôpital
où il était en sécurité, l’ambassadeur a imposé
au médecin général de faire sortir le blessé,
qui a aussitôt été arrêté par les forces
djiboutiennes. Il a depuis été relâché, mais ses
affaires ont été saisies. Surtout, le Président de
la LDDH Omar Ali Ewado, qui était venu
l’aider, a été arrêté sur le champ et transféré
dans des locaux de la gendarmerie, connue
pour sa pratique de la torture.
Les conseillers du Quai d’Orsay que
l’ARDHD a pu rencontrer ont tenu le même
double langage, préférant mettre leurs
interlocuteurs au défi de prouver leurs
affirmations (ce qui fut fait avec des
témoignages écrits) plutôt que de reconnaître
la complicité criminelle de leur diplomatie sur
place.

Une situation délicate pour les opposants

Le 31 décembre 2015, Omar Ali Ewado a
comparu, sans avocat, devant le Tribunal pénal
de Djibouti pour « diffamation publique et
diffusion de fausses nouvelles » en raison de la
publication de la liste des victimes du
massacre du 21 décembre et des personnes
incarcérées.
Le juge a émis un mandat d’incarcération
provisoire dans la sinistre prison de Gabode et
a programmé une audience de jugement pour
le dimanche 3 janvier 2016. Ewado s’y est
défendu seul mais un mandat signé par sa
femme va permettre une intervention
d’Avocats sans Frontières, afin d’assister le
prévenu et probablement de demander une
mise en liberté conditionnelle.
Saïd Houssein Robleh s’est pour sa part
présenté le 31 décembre à l’hôpital Bouffard
pour un changement de pansements, prévu
par l’ordonnance qui lui avait été remise à sa
sortie. L’hôpital militaire lui a refusé les soins.
Cette position s’est inversée depuis le départ
de l’ambassadeur .
Il devient clair que les autorités françaises
n’ont cherché qu’à se débarrasser au plus vite
de lui et qu’elles lâchent tous les défenseurs
des droits humains. Il est actuellement chez
lui, sans soins, craignant pour sa vie.
Comme à son habitude, Guelleh cherche à
créer des tensions tribales. Il l’a fait avec les
Afars, il s’attaque aujourd’hui à une des tribus
Issas, avec l’objectif de créer des violences
entre les deux clans Mamasan et Yonis Moussa.
Guelleh se présentera alors comme le seul
recours pour rétablir l’ordre.
Le président Guelleh peut compter sur le
silence des grandes puissances (France, États-Unis,
Japon et maintenant Chine), trop
attachées à la « stabilité » dans ce petit pays
stratégique de la Corne de l’Afrique où elles
possèdent des bases militaires.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 253 - janvier 2016
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