Survie

De putsch en pschitt ?

rédigé le 1er janvier 2016 (mis en ligne le 21 juin 2016) - Rafik Houra

Depuis quelques semaines, la justice militaire burkinabè, dirigée par le Colonel Sita Sangaré, semble subir des pressions du président Kaboré, élu à l’issue de la transition qui a suivi le renversement de Blaise Compaoré en 2014.

On a d’abord appris (RFI, le 28/04),
l’annulation pour « vice de forme »
des mandats d’arrêt internationaux
émis dans l’affaire du putsch du 16
septembre. Certainement une bonne
nouvelle pour Guillaume Soro, visé par un
mandat émis le 8 janvier. Sur la base
d’écoutes téléphoniques et d’une livraison
de 50 millions de FCFA et de matériel de
maintien de l’ordre, le président de
l’Assemblée nationale ivoirienne est en effet
soupçonné d’avoir activement soutenu en
septembre la tentative de putsch du général
Diendéré. Si elles ne remettent pas en cause
le bien­-fondé des mandats d’arrêt, ces
annulations vont dans le sens du « règlement
diplomatique » qu’envisageaient Roch Marc
Christian Kaboré et Alassane Ouattara, les
présidents burkinabè et ivoirien. Élu à la fin
de la transition qui a suivi la chute de l’ex­
dictateur Blaise Compaoré, Kaboré avait
déclaré ne pas avoir été prévenu de
l’émission du mandat contre Soro.

Le Balai citoyen, fer de lance de la
contestation contre Compaoré et le Conseil
Intersyndical des Magistrats ont protesté
contre le « tripatouillage » qui a abouti à
l’annulation des mandats d’arrêt. Dans les
jours qui ont suivi cette annulation, comme
Sita Sangaré l’avait indiqué, de nouveaux
mandats d’arrêt, en bonne et due forme,
sont arrivés sur le bureau du juge
d’instruction. C’est alors qu’un décret du
président Kaboré a opéré un véritable « coup
de balai
 » (L’observateur Paalga, 09/05) au
sein de la justice militaire. Finalement, trois
des quatre magistrats travaillant sur l’affaire
du putsch ont été remplacés ou dessaisis
(Radio Oméga, 19/05).

Défense dissonante

Comment solder une affaire dont le
dossier d’accusation est déjà bien étayé et
largement connu ? Une source judiciaire
(Reuters, 22/01) a indiqué que les autorités
burkinabè détiennent 3 gigaoctets (donc
plus de 5h) d’enregistrements télépho­niques. La Lettre du Continent (25/11/15)
avait publié le rapport déjà bien documenté
de la Commission d’enquête sur les
événements du 16 septembre, lancée par le
Premier ministre de la transition, Isaac Zida.
Les décrets de Kaboré ne suffiront donc pas
à noyer le poisson !

L’avocat William Bourdon, connu pour
ses combats aux côtés des populations
victimes de grandes entreprises ou de dé­tournements de biens publics, assure la
défense de l’un des barons du régime déchu
de Blaise Compaoré : l’ancien ministre des
Affaires étrangères, Djibrill Bassolé,
soupçonné d’être mouillé dans le putsch.
D’après les enregistrements téléphoniques,
Bassolé semble recevoir les conseils
militaires de Soro pour réussir le putsch.
Une expertise commandée par Bourdon
remet en cause l’intégrité des
enregistrements (Le Monde, 25/02). Pour
l’avocat « Cet enregistrement était supposée
être la preuve cardinale de l’implication de
mon client dans la tentative de coup d’Etat.
Elle s’écroule, donc le dossier s’écroule
 ».
Une conclusion un peu rapide, quand on
apprend que l’expert n’a pas travaillé sur
l’enregistrement original mais sur « l’audio
mis en circulation sur les réseaux sociaux
 »
(L’Evénement, 10/03). Reste aussi qu’une
livraison d’argent et de grenades en
provenance de Côte d’Ivoire semble bien
avoir suivi la conversation Soro­-Bassolé.

Un proc en Françafrique

Les malheurs de la justice militaire
burkinabè surviennent quelques mois après
l’arrivée d’un nouveau magistrat français à
Ouagadougou, le 15 décembre. Que le
gouvernement français continue comme si
de rien n’était de dépêcher un « conseiller
technique » auprès du ministre de la Justice
burkinabè après que nos militaires avaient
mis Compaoré à l’abri de toute poursuite
judiciaire en l’exfiltrant en Côte d’Ivoire en
dit long sur l’autisme de la diplomatie
française et sa volonté de maintenir le
Burkina Faso sous son aile dominatrice.
Selon un arrêté du 10 mai du ministre des
Affaires étrangères français, les conseillers
techniques sont ainsi disséminés dans les
institutions régaliennes du Burkina (police,
douane, impôts, sécurité transfrontalière,
aviation civile, justice,...).

Avant sa nomination auprès du ministre
de la Justice burkinabè, Philippe Faisandier
fut procureur à Mayotte puis Secrétaire
général au parquet de Saint­-Denis de la
Réunion. Il a été accusé de freiner des
quatre fers des enquêtes impliquant le GIR,
un groupe de gendarmes et policiers aux
méthodes spéciales, sur lesquels enquêtait
depuis 2011 le juge d’instruction Hakim
Karki. Des passeurs comoriens en situation
irrégulière étaient encouragés à faciliter
l’entrée de dealers et de drogue à Mayotte
en échange de titres de séjour : « un système
ahurissant mis en place pour sans doute
gonfler les chiffres de saisies de drogue et
arrestations de dealers
 » (Le Point,
17/07/2013). L’obstination du juge Karki à
enquêter sur ces pratiques s’est rapidement
heurtée au parquet. Mis sur écoute, le
capitaine à la tête du GIR confiait en octobre
2012 : « On verra bien ce que le parquet va
faire. [...] Il [le procureur Philippe
Faisandier] savait très bien que le pilote de
la barque, c’est lui qui nous filait les
informations et qui amenait les
trafiquants. [...] C’est pas son intérêt dans
le système actuel de rallumer un feu,
sachant qu’il pourrait être brûlé dedans
 »
(Le Point, 17/07/2013). En 2011, le
procureur avait enjoint au juge Karki
(Mediapart, 18/07/2013) « de retirer du
dossier certaines pièces
 », dont « les
demandes de mise sur écoute
 » du GIR. Les
auditions de quatre membres du GIR eurent
lieu, mais en présence de deux autres
policiers et du procureur Faisandier lui­
même. « En vingt ans de métier, c’était la
première fois que je voyais un procureur
assister à des auditions et s’opposer aux
mises en examen
 », s’était étonné un avocat.
« Tout est mis en œuvre par l’État pour
empêcher le juge d’instruction d’aller au
contact de la vérité alors que ses enquêtes
mettent lourdement en cause le GIR
. » En
janvier dernier, deux ex-­membres du GIR
ont finalement été condamnés à de la prison
ferme. Une seconde affaire impliquant le
GIR est toujours en cours d’instruction
après un dépaysement à la Réunion, tandis
que le juge Karki, qui instruisait aussi cette
affaire, a par ailleurs été mis en examen
pour viol en août 2014.

Aujourd’hui, impossible de dire si ce
coopérant judiciaire joue un rôle dans le
bras de fer en cours au Burkina Faso au sujet
de Djibril Bassolé et de Guillaume Soro.
Mais son passé, sulfureux, vient ajouter au
symbole désastreux de la nomination d’un
« conseiller technique » français, quelques
semaines après la fin de la transition.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 258 - juin 2016
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