Survie

Nouveau procès à Paris

rédigé le 1er juin 2016 (mis en ligne le 21 juin 2016) - Laurence Dawidowicz, Raphaël Doridant

Après l’ex­-capitaine Pascal Simbikangwa, condamné pour génocide en 2014, c’est au tour de deux anciens bourgmestres rwandais de comparaître devant la cour d’assises de Paris.

Le 14 mars 2014, cette cour avait
condamné Pascal Simbikangwa, ex­-capitaine de l’armée rwandaise, à
25 ans de réclusion pour génocide et complicité de crimes contre l’humanité [1]. Ce verdict était historique à plus d’un titre : il ne condamnait pas un simple exécutant, mais un des cadres du génocide ; il reconnaissait d’autre part que le génocide des Tutsi avait été le fruit d’un « plan concerté » et non le résultat d’une explosion de « colère populaire », comme le soutien­nent les négationnistes et leurs complices.

Génocide à Kabarondo

Au nom de la « compétence universelle »
des tribunaux français pour connaître des
crimes contre l’humanité quels que soient le
lieu de leur commission et la nationalité de
leurs auteurs, à partir du moment où ceux­-ci
sont présents sur le sol français, la cour
d’assises de Paris juge, depuis le 10 mai et
jusqu’au 1er juillet, deux anciens
bourgmestres de la commune de
Kabarondo, située à l’est du Rwanda. La
tenue de ce procès doit beaucoup à la
ténacité du Collectif des Parties Civiles pour
le Rwanda (CPCR) qui a permis l’arrestation
en 2010 à Mayotte d’Octavien Ngenzi, en
cavale depuis 20 ans, et celle de Tito
Barahira en 2013 à Toulouse, où il coulait
des jours paisibles.

Tous deux comparaissent pour génocide
et crime contre l’humanité, notamment pour
le massacre, le 13 avril 1994, de 3 500 Tutsi
réfugiés dans l’église de Kabarondo.
Octavien Ngenzi détenait alors l’autorité
légale en tant que bourgmestre, et Tito
Barahira jouissait, comme ancien bourg­
mestre et président du MNRD local (le parti
présidentiel), d’un ascendant moral certain
sur la population. Ils sont accusés d’avoir fait
venir des militaires pour commettre le
massacre commis en leur présence et sous
leur responsabilité, et d’avoir incité au
meurtre les miliciens et la population.

« Clause de conscience »

Avant même le début des audiences, ce
procès a été marqué par le surprenant
désistement de la vice­-procureure du pôle
« crimes contre l’humanité et génocides »,
Aurélia Devos. Fine connaisseuse du dossier
dont elle a suivi l’instruction, Aurélia Devos
devait requérir dans cette affaire aux côtés
d’un avocat général représentant le
ministère public. Dix jours avant l’ouverture
du procès, elle a annoncé son désistement,
invoquant, fait rarissime, la « clause de
conscience ». Selon Libération (4/05),
certains ont vu un lien entre cette décision
et la nomination du médiatique Philippe
Courroye comme avocat général dans ce
procès, mettant en avant le fait que l’avocat
de ce dernier est également celui des
enfants du défunt président Habyarimana et
de plusieurs Rwandais accusés de génocide.
L’association Survie, qui est partie civile,
refuse de cautionner ces soupçons à l’égard
de M. Courroye.

Ce mini­-coup de théâtre a été suivi d’un
autre. Appelé à témoigner par la défense,
André Guichaoua a refusé de se présenter à
l’audience. Dans une lettre adressée à la
cour le 25 avril, le sociologue rejette
l’hommage rendu à son travail par l’un des
avocats des accusés qui souhaitait son
audition pour « rééquilibrer des experts qui
seraient trop favorables aux parties
civiles
 ». M. Guichaoua a visiblement préféré
lui aussi faire jouer une « clause de
conscience », morale si ce n’est légale.

Dernière surprise : un historien,
Stéphane Audoin­-Rouzeau, a évoqué, pour la
première fois devant une cour de justice, le
rôle des autorités françaises (voir encadré).

Le rôle de la France

Interrogé par un juré sur le rôle des puissances étrangères, le
12 mai 2016, Stéphane Audoin-­Rouzeau a répondu en substance :

« Je pense malheureusement que la politique de notre pays a été
extraordinairement mal conduite entre le début de la guerre en
1990 et la fin du génocide en 1994, voire au­-delà. La France est bien
implantée au Rwanda, mais elle n’a pas voulu voir ce que signifiait
les massacres répétés de 1990/91/92/93. Elle laissait faire et il semble
qu’avec le recul, notre pays aurait pu signifier que si le Rwanda
continuait à s’engager dans ces massacres, le soutien de la France
aurait dû être retiré mais ça n’est pas ce qui s’est passé.

Deuxième chose : le général Tauzin a été directement envoyé sur
place, en février 1993, pour prendre littéralement le comman­dement de l’armée rwandaise et rétablir le front face à l’offensive
victorieuse du Front Patriotique rwandais (FPR). M. Tauzin le dit
avec beaucoup de fierté. Le document de son audition devant la
Mission d’Information Parlementaire de 1998 est introuvable parce
qu’il est classé secret défense. Mais M. Tauzin le dit dans son livre,
Rwanda, je demande justice pour la France et ses soldats. Sur place,
c’est lui­même et ses officiers qui prennent officieusement le
commandement de l’armée rwandaise, ceci en dehors de tout
contrôle parlementaire et sans information de la société civile
française. Je précise que je suis plutôt un militariste français.

La France a évacué ses ressortissants. Elle aurait pu prévoir
d’évacuer les Tutsi qui étaient employés par les institutions
françaises. Ce personnel a été abandonné malgré ses supplications.

A cela s’ajoute le problème de l’opération Turquoise très
controversée : oui, cette opération a sauvé beaucoup de vies. On
peut considérer que dans la zone du Sud­-Ouest, 20 000 Tutsi ont été
protégés. Mais se contenter de cela, c’est passer bien vite sur la
première phase de l’opération Turquoise. Tout indique, notamment
certains témoignages d’officiers français, que dans cette phase qui
dure la première semaine [23­30 juin 1994], la perspective n’est pas
humanitaire mais qu’elle est cobelligérante avec le gouvernement
intérimaire pour tenter d’arrêter la progression du FPR.
Heureusement ces opérations militaires, notamment des frappes
aériennes, qui auraient dû arrêter le FPR, ont été annulées dans la
nuit du 30 juin au 1er juillet 1994. Pour quelles raisons l’ont­-elles été,
on ne le sait pas.

Il y a ensuite cette faute reconnue de laisser passer les génocidaires
sans les arrêter lorsqu’ils fuient vers le Zaïre, avec cette installation
aux frontières du Rwanda de camps de réfugiés et d’organisations
politico-­militaires qui veulent prendre une revanche ».

NDLR : M. Audoin­-Rouzeau a relu ses propos avant publication.

[1Le procès en appel sera jugé d’octobre à décembre.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 258 - juin 2016
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