Survie

Sangaris est mort, vive Sangaris !

rédigé le 1er juin 2016 (mis en ligne le 21 juin 2016) - Yanis Thomas

Ce n’est pas tout de déclarer des guerres, encore faut-­il réussir à les finir. François Hollande a trouvé une technique infaillible : annoncer la fin des opérations, alors même qu’il n’en est rien. C’est le cas en Centrafrique, où ce double discours est particulièrement criant.

Bangui, c’est fini ! Le 13 mai 2016, le président français, François Hollande, était dans la capitale centrafricaine pour annoncer à Faustin Archange Touadéra, son homologue, qu’il avait décidé de mettre un terme à l’opération Sangaris. Déclenchée le 5 décembre 2013, au cœur d’un conflit intercommunautaire qu’elle a en partie contribué à envenimer, cette énième opération militaire française a mobilisé plus de 2000 soldats au plus fort des combats. Ces temps derniers, elle a plutôt fait parler d’elle concernant des accusations de viols commis par ses membres, notamment sur de jeunes garçons du camp de réfugiés de l’aéroport de Bangui. L’annonce prési­dentielle permet ainsi de noyer le poisson, et de faire croire aux citoyens français que leur armée quitte ce pays, au moment même où elle s’y trouve en porte-­à­-faux.

« La fin de Sangaris ne signifie pas le retrait complet de nos forces »

Or, il n’en est rien. Car, comme Jean-­Yves Le Drian, le ministre français de la Défense, le déclarait le 6 avril à la commission de la Défense et des forces armées de l’Assemblée nationale : « La fin de l’opération Sangaris ne signifie pas le retrait complet de nos forces. Nous conserverons une présence réduite, mais vigilante, pour apporter notre soutien à la République centrafricaine ». L’idée est bien de conserver « à l’issue du processus [de retrait de Sangaris], une présence militaire autonome ».

Soldats français à Bangui, le 23 décembre 2013 (Photo sous licence CC : Jordi Bernabeu Farrús)
Soldats français à Bangui, le 23 décembre 2013 (Photo sous licence CC : Jordi Bernabeu Farrús)

Soldats français à Bangui, le 23 décembre 2013 (Photo sous licence CC : Jordi Bernabeu Farrús)

Réorganisation militaire

Concrètement, ce maintien d’un corps expéditionnaire français prendrait plusieurs formes. Tout d’abord, la France compte incorporer une centaine de ses soldats à la MINUSCA, la force de maintien de la paix de l’ONU présente sur place. Une trentaine servirait au sein de l’état­-major de la force, position stratégique s’il en est (Jeune Afrique, 22/05). C’est d’ailleurs un lieutenant­-colonel français qui assurera le commandement des opérations aériennes. Ce qui permet à la France de retirer ses hélicoptères d’attaque du pays mais de garder le contrôle sur ce qui fait la puissance de frappe de la MINUSCA (notamment grâce aux hélicoptères d’attaque sénégalais). Par ailleurs, l’Union européenne a décidé le 19 avril dernier de créer une mission de formation de l’armée centrafricaine, dénommée EUTM RCA, sur le modèle de mission similaire en Somalie et au Mali. Dans ce cadre, il est prévu qu’entre 70 et 100 militaires français servent en tant que formateurs sous la bannière de l’Union européenne (lemonde.fr, 14/05). Sans surprise, le commandement de l’opération sera assuré par un général français, en la personne d’Éric Hautecloque­-Raysz, un ancien du 1er Régiment de hussards parachutistes et commandant en second de l’Eurocorps (bruxelles2.eu, 20/04). Enfin, et pour satisfaire le souhait de Jean­-Yves Le Drian de disposer d’une « présence militaire autonome », 250 militaires français resteront stationnés à l’aéroport de Bangui, à la disposition du maître de l’Élysée pour intervenir selon son bon vouloir. Pas mal pour une opération militaire qui est censée être terminée !

Retour des « privés » ?

De plus, cette partie officielle de la présence française pourrait s’accompagner d’une autre, officieuse et dans la plus pure tradition françafricaine, avec la mise à contribution d’officines privées pour suivre au plus près les agissements des autorités centrafricaines. Selon le magazine Jeune Afrique (26/05), le général Bruno Clément­ Bollée, vice­-président de la société militaire privée Sovereign Global Solution (très active dans la formation des troupes de la MINUSCA), pourrait débarquer à Bangui pour aider les autorités centrafricaines à la mise en place du processus de Désarmement, Démobilisation, Réinsertion (DDR) visant à ramener à la vie civile les membres des différents groupes armés encore actifs dans le pays. Ancien directeur de la coopération de sécurité et de défense du ministère des Affaires étrangères, Bruno Clément-­Bollée a œuvré sur des sujets similaires en Côte d’Ivoire après la prise du pouvoir (soutenue par la France) d’Alassane Ouattara en 2011. En Centrafrique, il aura du pain sur la planche : les groupes armés ayant constitué la Séléka [1] en 2012 menacent de se coaliser de nouveau, le gouvernement récemment nommé n’intégrant aucun de leurs membres (RFI, 25/05).

[1La Séléka est la rébellion qui a plongé le pays dans le chaos à partir de décembre 2012.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 258 - juin 2016
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