Survie

« 2016 ne sera pas 2009 ! »

(mis en ligne le 20 octobre 2016) - Thomas Noirot

Alors que la diplomatie française vient de reconnaître Ali Bongo, les Gabonais multiplient les initiatives pour empêcher le scénario de 2009 de se reproduire.

Au Gabon, la Cour constitutionnelle a, hélas sans surprise au regard de sa composi­tion, validé le putsch électoral d’Ali Bongo Ondimba, à l’issue du scrutin présidentiel organisé fin août. Histoire d’enfoncer le clou (ou le poignard...), l’instance présidée par la belle­-mère d’Ali a, en même temps qu’elle invalidait les recours déposés par l’opposi­tion au sujet de résultats complètement fan­tasques de bureaux de vote du fief des Bongo, donné raison au dictateur­-candidat qui avait également déposé des recours contre son challenger Jean Ping, derrière le­quel l’opposition s’était rassemblée (cf. Billets n°260, septembre 2016). Le trucage des chiffres n’en est que plus grossier, mais cela permet d’annoncer une victoire un peu plus confortable que ce que les premiers bi­douillages avaient donné. Ali Bongo a donc pu organiser rapidement son investiture, le 27 septembre. La diplomatie française, qui avait un temps appelé à un recomptage des voix, a aussitôt pris acte : l’ambassadeur de France était bien présent à cette investiture.

Interrogé sur Europe 1 (29/09) au sujet de la position française vis à vis d’Ali Bongo, le mi­nistre Jean­-Marc Ayrault a commenté sans rire : « Il y a la Cour constitutionnelle gabo­naise qui s’est prononcée. Il y a eu des re­cours, c’est ce que nous avions recommandé. Il reste toujours un doute ; maintenant il faut une solution politique de réconciliation, et c’est ce que la France redit et répétera encore ». Et de répondre au journaliste qui lui demandait si Ali Bongo était un « interlocuteur légitime au­jourd’hui » : « Il est investi. Il est installé. La France était représentée par son ambassa­deur. Vous avez vu qu’il y a une certaine retenue après cette élection et en même temps, ce que nous voulons, ce n’est pas la déstabilisation du Gabon. Et pour ça il y a besoin que l’Union africaine, qui a com­mencé à le faire, joue son rôle pour encourager Bongo à chercher une politique de
rassemblement parce que je pense que c’est l’intérêt du Gabon mais c’est aussi l’intérêt de toute l’Afrique
 ». Et de la France, on l’aura deviné. Ayrault ressort donc les vieilles recettes : le dogme de la stabilité (avec 49 ans cumulés au pouvoir, la famille Bongo est bonne élève...), et la main tendue vers l’op­position (qui a cette fois­-ci refusé, au soula­gement de la population gabonaise qui craignait une nouvelle trahison).

On vous a compris

Rapportant les propos d’une « source au
ministère des Affaires étrangères », RFI écri­vait la veille de cette déclaration : « Paris ré­pète son rejet de toute violence et affiche cette certitude : " Notre position est assez largement comprise par les Gabonais" » (28/09). Tellement bien comprise, que les Gabonais interpellent les représentants poli­tiques français, du Parti socialiste comme de l’opposition, dès qu’ils en trouvent l’occa­sion. Au­-delà des manifestations qui se suc­cèdent à Paris, où fleurissent les slogans tels que « François Hollande, le tribunal de l’histoire t’attend au Gabon », certains coups d’éclat font le buzz sur les réseaux so­ciaux et alimentent ainsi le mouvement de contestation.

Nicolas Sarkozy, qui était au pouvoir en 2009 lorsqu’Ali Bongo a réalisé son premier coup d’État électoral avec le soutien actif de la France, a ainsi vu les images d’un de ses meetings faire le tour des téléphones por­tables du Gabon : alors que des jeunes Ga­bonais criaient depuis la salle « Sarko, viens chercher Ali ! », le candidat en quête des voix frontistes a évité de répondre, en leur lançant avec dédain « Ici c’est la France, c’est pas le Gabon. Si vous voulez parler du Gabon, retournez­-y ! ». La politique afri­caine n’est jamais un sujet électoralement porteur, à droite comme à gauche... Une semaine après, c’était au tour d’un meeting du Parti socialiste : le 26 septembre, la mi­nistre de l’Education Najat Vallaud Belka­cem, en service commandé pour défendre le bilan de son champion François Hollande, s’est faite interrompre aux cris de « Libérez le Gabon » et « Ali assassin ». La vidéo, rapi­dement postée sur Facebook, a été vue plus de 10 000 fois.

Maintenir la pression

Ces petits coups d’éclat ne servent pas uniquement à rappeler à nos politiques
leurs responsabilités – ce qui n’est déjà pas rien. Avec la force démultiplicatrice des ré­seaux sociaux, ils alimentent la contestation au Gabon, en soutenant les militants qui risquent leur vie : aucun bilan précis et fiable n’est disponible, mais l’opposition re­cense plusieurs dizaines de morts et de disparus. A la comptabilisation des victimes de la répression sanglante des manifestations s’ajoutent désormais les témoignages d’exé­cutions arbitraires par des policiers cagou­lés. Comme au Congo Brazzaville ou au Tchad lors des derniers coups de force élec­toraux, le pouvoir tente de contenir la vague de contestation en coupant régulièrement internet. Cette fois, Ali Bongo prétexte sans rire que les Gabonais ont trop de télé­phones portables et que c’est l’effet de saturation qui entraîne ces coupures. L’opposition tient bon : la « journée de deuil » du 6 octobre, pour laquelle la popu­lation privée du droit de manifester était invitée à exprimer son rejet du régime en refusant d’aller travailler, a été bien suivie. Deux jours après, l’appel au boycott visait le match des « Panthères », l’équipe natio­nale de foot, car les joueurs n’ont pas pris position contre la répression.

Groupe de femmes lors de la manifestation du 10/09/2016 à Paris contre le "coup d’état électoral" au Gabon. Photo Régis Mazin

Groupe de femmes lors de la manifestation du 10/09/2016 à Paris contre le "coup d’état électoral" au Gabon. Photo Régis Mazin

Quelques slogans sont déjà devenus des incontournables de ce mouvement de
rejet, au pays comme chez les Gabonais ex­patriés. Alors qu’Omar Bongo, père d’Ali et indétrônable dictateur du pays pendant 42 ans, aimait à railler les contestations en di­sant que « les chiens aboient et la cara­vane passe », les militants utilisent le nom de l’équipe de foot et préviennent : « les chiens sont devenus des panthères », pour signifier qu’elles entendent bien dévorer le régime d’Ali Bongo Ondimba. Ce dernier, ABO, est désormais raillé en l’appelant Bongo Ondimba Ali, alias BOA : au Gabon, ce mot ne sert pas uniquement à désigner un serpent dangereux, mais aussi un idiot. En clamant aussi que « 2009 ne sera pas 2016 », les Gabonais annoncent qu’ils ne se laisseront pas faire – un message que la di­plomatie et l’armée françaises refusent d’entendre, au prétexte que la stabilité est bonne pour les affaires françafricaines.

Coopération militaire dans l’angle mort

Encore une fois, les médias français ont réussi le tour de force de parler de forces
de l’ordre françafricaines sans évoquer leurs liens organiques avec l’armée fran­çaise. Comme si les coopérants militaires français étaient occupés à trier le courrier pendant que la répression s’organisait. La presse africaine est plus bavarde sur le sujet : afriqueeducation.com (28/09) affirme en particulier que « un militaire français aurait participé au bombardement du QG de Jean Ping », le 31 août. L’article en ligne accuse : « Chef du Bureau des opéra­tions à la Garde républicaine (présidentielle), le commandant, Stéphane Chiron, (c’est son nom) aurait fait ce sale job aux côtés du colonel Tsiba, qui, lui, est de nationalité gabonaise ». Un autre nom de français ayant des responsabilités dans la Garde républicaine circule, le « colonel Gros Jean », sans qu’on sache s’il s’agit d’un coopérant ou d’un ancien militaire qui a trouvé une occupation barbouzarde pour sa retraite... Surtout, le JDD (2/10) a révélé que les membres de la délégation d’observation électorale envoyée par l’Union européenne avaient été placés sur écoute pendant leur séjour : connaissant le chaperonnage historique des services de renseignement gabonais par leurs collègues français, est-­il envisageable que ces derniers l’aient ignoré ? Et s’ils en étaient informés, ont-­ils alerté l’Union euro­péenne ou couvert ces écoutes ?

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 261 - octobre 2016
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