Survie

Génocide des tutsis : un nouveau petit pas pour la justice

rédigé le 18 décembre 2021 (mis en ligne le 23 mars 2022) - Laurence Dawidowicz

Deux ans après la condamnation à perpétuité par la cour d’assises de Paris en appel de Tito Baharira et Octavien Ngenzi, anciens bourgmestres de la Commune de Kabarondo (Rwanda), pour crime de génocide et crimes contre l’Humanité, s’est déroulé du 22 novembre au 16 décembre 2021 le procès de Claude Muhayimana.

Visé par un mandat d’arrêt international depuis décembre 2011 et malgré l’avis favorable de la Cour d’Appel de Rouen pour son extradition (avis annulé par la Cour de cassation en 2012) puis de Paris (avis annulé par la Cour de cassation en 2014), l’accusé a été renvoyé devant la cour d’assises de Paris en novembre 2017. Il aura fallu 10 ans pour qu’il soit enfin jugé pour ses actes, en décembre 2021. Le refus d’extrader de la justice française s’appuie sur la non intégration des peines pour ces crimes dans le code pénal rwandais d’avant 1994, même si le Rwanda, en signant la Convention contre les crimes de génocide en 1975, s’engageait à les réprimer. Pour les rescapés et leurs familles ce refus est intolérable, il allonge considérablement les délais de jugement. D’autant qu’on peut remarquer non sans ironie que cela n’a pas empêché l’extradition de plusieurs hommes accusés de génocide vers le TPIR… créé en novembre 1994.

Des témoignages accablants

La pandémie Covid 19 ayant repoussé deux fois la venue des témoins vivant à l’étranger, le choix a été fait de tenir le procès en recourant plus que dans les procès précédents à des auditions en visioconférence tant depuis le Rwanda, l’Ouganda, l’Italie, Auxerre, ou Toulouse, avec une très bonne qualité technique d’après les parties civiles présentes.
Alors qu’il était chauffeur d’une guest-house à Kibuye (ouest du Rwanda) en 1994, M. Muhayimana est accusé d’avoir « aidé et assisté sciemment », entre avril et juillet, des gendarmes et des miliciens en assurant leur transport sur des lieux de massacres, notamment dans les régions de Kibuye (72.000 victimes estimées) et Bisesero (50.000 victimes estimées). Un témoin a précisé que quand le véhicule de M. Muhayimana partait vers l’Est, on savait qu’ils allaient « travailler », c’est à dire « tuer ». C’était le seul travail de l’époque. De plus, ce véhicule était le seul à transporter des militaires et des civils armés de fusils et de grenades. Cette audition a mis en lumière la tentative de l’accusé de faire pression sur le témoin en parlant de manipulation des témoins à charge : il a avoué lors d’une audience avoir fait contacter le témoin par un tiers pour l’influencer.
Des témoignages poignants ont été entendus lors de ces semaines d’audience, faisant approcher l’horreur des humiliations et tortures subies ces jours-là, souvenirs aussi de la résistance des réfugiés du Home Saint Jean ou encore des familles des tueurs venant détrousser les victimes ou bien se partageant leurs parcelles. A l’issue de près de quatre semaines de procès et de longues auditions d’une cinquantaine de témoins, le ministère public a demandé aux jurés de la cour d’assises « de le déclarer coupable de s’être rendu complice de génocide et complice de crimes contre l’Humanité pour les massacres des collines de Kibuye, Gitwa, Bisesero et de l’école de Nyamishaba ».

Soutiens politiques 
et militaires français

Le 5 avril 2019, le président Macron s’engageait à « doter la justice de moyens nécessaires pour juger les personnes suspectées de génocide vivant en France ». Depuis, quelques poursuites ont été initiées par le parquet alors que précédemment seuls des rescapés ou des ONG déposaient plainte. C’est un progrès notable. Depuis la loi du 22 mai 1996, il est possible de le faire dès lors que l’intéressé se trouvait sur sol français. L’OFPRA, après de sombres années qui avaient permis l’accueil de nombreux génocidaires, a appliqué le code d’entrée sur sol français et a exclu de l’asile « les personnes qu’on aura des raisons de penser …qu’elles ont commis un crime contre la paix, crime de guerre ou crime contre l’Humanité », désignant ainsi comme suspects de génocide des dizaines de ressortissants rwandais. Cependant ces décisions n’ont jamais été suivies par l’ouverture d’une instruction judiciaire par le parquet.
L’accusé ayant demandé l’appui du général Sartre auprès de l’OFPRA puis du préfet de Rouen pour obtenir le droit d’asile politique, le président du Tribunal a souhaité que le premier soit entendu. Le militaire n’a pas voulu abandonner un ancien « collaborateur » comme les harkis l’avaient été. On ne peut s’empêcher de constater les soutiens d’hommes politiques ou de militaires français apportés à des personnes mises en cause pour crimes de génocide. L’audition du général Sartre a permis quelques questions sur les liens tissés dès le début de l’opération Turquoise avec les Rwandais qui étaient en train de commettre le génocide et qui ont servi de guide, de contact ou de chauffeur. Le Tribunal a entendu que les instructions données au général et à ses hommes étaient sciemment erronées sur la situation, mentionnant des combats interethniques et non un génocide, alors que la hiérarchie militaire et le chef de l’État étaient parfaitement au fait de ce qui se passait au Rwanda en 1994. Les plus hauts responsables français politiques et militaires d’alors encore en vie seront-ils un jour mis en cause devant la justice de la République ?
Verdict rendu : 14 ans de réclusion criminelle pour complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité pour son rôle en 1994 lors de l’extermination des Tutsis du Rwanda.
Laurence Dawidowicz

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