Survie

Le poulet sénégalais se débat devant l’OMC

Les importations subventionnées ruinent la filière.

Publié le 9 août 2003 - Survie

Libération, France, 5 août 2003.

Il a beau avoir les pattes attachées, le poulet bat des ailes, caquetant, réussissant à passer entre les pieds de plusieurs passagers. Ibrahima, à qui un ami vient d’offrir cet animal excité, jette des regards inquiets autour de lui. Mais dans ce car rapide qui fait route entre le village de Sandiara et la ville de Mbour, au Sénégal, personne ne proteste. Chacun est d’autant plus tolérant que le poulet sénégalais se fait de plus en plus rare. Depuis, précisément, que des importations occidentales largement subventionnées, notamment européennes, lui font une concurrence fatale.

Le problème est suffisamment brûlant pour que le Sénégal demande une modification des règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), lors de la prochaine conférence ministérielle, qui se tiendra à Cancun (Mexique) du 10 au 14 septembre. Même si les autorités sénégalaises ont conscience que leur avis compte peu dans ce genre de grand-messe.

Anéantis. Représentés par Ndiogou Fall, président du Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest, les paysans seront là eux aussi. Pour demander notamment que « des exportations ne viennent pas déstabiliser les marchés internes d’autres pays », comme l’exigeaient des organisations paysannes africaines, latino-américaines et européennes, réunies en mai pour préparer le sommet de Cancun.

Selon la Fédération des acteurs de la filière avicole, 70 % des fer mes avicoles du Sénégal ont fermé durant ces quatre dernières années. « Même les plus gros producteurs rencontrent d’énormes difficultés pour survivre. D’ici à six mois, nous pensons que la filière du poulet de chair sera totalement anéantie », affirme un responsable du centre national d’aviculture de Mbao.

Pourtant, il y a peu, le secteur était en forme, après s’être considérablement professionnalisé, assure Abdou laye Bouna Niang, directeur de l’élevage au ministère de l’Agriculture. « Il a fait un bond prodigieux entre 1985 et 1995, avec un développement unique dans l’histoire agricole du pays. Son chiffre d’affaires avait été multiplié par dix ! », explique-t-il. Mais entre 1996 et 2002, les importations de poulet sont passées de 189 à 7 000 tonnes, tandis que la production sénégalaise a, elle, stagné. « La demande en poulets a augmenté mais n’a pas profité à la filière avicole nationale », souligne le responsable du centre national d’aviculture de Mbao. Aujourd’hui, il suffit de goûter un « yassa poulet » pour se rendre compte que la chair n’est plus aussi tendre qu’autrefois.

Gallaye Mbodji connaît bien cette nouvelle viande à bas prix, dont la plupart des consommateurs européens ne veulent pas. C’est elle qui lui a fait perdre une partie de ses ressources financières. Vêtu d’un boubou bleu ciel, téléphone portable à la main, il fait partie des jeunes paysans, de plus en plus rares, qui résistent encore à l’exode rural. Dans sa région, à dix kilomètres de Thiès, les poulaillers avaient permis aux agriculteurs, pénalisés par la sécheresse, de compléter leurs revenus. Mais en 2002, il a fallu les abandonner. « Des cuisses de poulets venues des pays occidentaux se sont mises à pleuvoir sur le marché, beaucoup moins chères que nos produits. On n’arrivait plus à vendre et on était obligé de nourrir nos poulets au-delà de la période normale. On a perdu beaucoup d’argent », raconte Gallaye.

Le début du déluge se situe à la fin des années 90. Avec l’application des accords de Marrakech de l’OMC, signés en 1994, pour une libre circulation des produits agricoles. Les règles qui entrent alors en vigueur enlèvent au Sénégal la possibilité de contrôler le niveau de ses importations. Venus principalement d’Europe et des Etats-Unis, des morceaux de poulets produits en batterie envahissent son marché, à des prix écrasant toute concurrence : soit parce qu’ils bénéficient de subventions dans leurs pays d’origine, soit parce qu’ils y constituent des surplus.

Barrières douanières. En 1997, l’harmonisation des tarifs douaniers au sein de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest, dont fait partie le Sénégal, aggrave la situation. Imposé par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), le nouveau tarif extérieur commun divise par dix les droits de douane sénégalais. Les frontières sont désormais grandes ouvertes. « Aujourd’hui, au port de Dakar, le kilo de volaille importé tourne autour de 250 FCFA. La production locale, elle, est à 1 200 FCFA ! », s’insurge Abdou Diop, chargé de mission à la Sénégalaise de distribution de matériel avicole.

« On est coincé », reconnaît Ndiobo Diene, conseiller technique du ministre de l’Agriculture. La perte de revenus des paysans diminue la richesse du pays, puisque 70 % de la population vit de l’agriculture. N’ayant plus les moyens d’acheter la production nationale, celle-ci se rabat sur les importations à bas prix. Ce qui entraîne un nouveau manque à gagner pour les producteurs. Pour Ndiobo Diene, une seule conclusion est possible : il faut changer les règles de l’OMC.

Par Fanny PIGEAUD, envoyée spéciale à DAKAR

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