Survie

Un déluge de criquets s’abat sur l’Afrique

Au nord-est du Sénégal, la lutte contre les criquets pèlerins s’organise.

Publié le 26 juillet 2004 - Survie

Libération, France, 26 juillet 2004.

Les criquets pèlerins sont de retour, en force. Cadavres jaune vif, excréments noirs et fins, arbres dénudés de leurs feuilles et parfois même de leurs épines, petites taches blanches, preuve de présence d’oeufs, les indices sont là, non loin du village de Gassembéry, à quelque 70 km de Matam et 700 km au nord-est de Dakar. Le long de la frontière mauritanienne, de nombreux hameaux composés essentiellement de cases ont subi les premiers assauts. D’habitude, les criquets pèlerins survolent le Sénégal vers novembre, en fin d’hivernage, saison des pluies. Mais cette année, les gros nuages de criquets étaient là dès le 23 juin. Pour Meissa Diagne, technicien supérieur agricole venu en renfort de Dakar, ils peuvent contenir jusqu’à « 500 millions d’individus » et le criquet peut manger « deux fois son poids ». « Chaque arrivée est donc une catastrophe en cette période de semailles. »

Jaune vif. Le ciel de la région s’est d’abord couvert de rose, couleur des criquets immatures qui « ne pensent qu’à bouffer » et qui « taillent l’herbe comme une tondeuse ». Puis il a viré au jaune vif, le 14 juillet. « Des adultes qui ne pensaient qu’à s’accoupler », explique Oumar Aw, chef de la base de surveillance et d’avertissement agricole d’Ogo, à 14 km au sud de Matam. « Au début, je pensais que c’était un orage qui se préparait », raconte Boubou Guede Lô, entouré des villageois de Gassembéry, sur la rive gauche du fleuve Sénégal. Tout le monde y va de son commentaire, dans la langue locale, le pulaar, mais une chose est sûre : « De cette ampleur-là, c’est la première fois. » Environ 30 individus par mètre carré sur une zone de 300 hectares. A 51 ans, cet ancien conseiller rural n’en est pas à ses premiers criquets, mais, le 14 juillet, l’essaim venu du pays voisin a terrorisé Boubou et ses amis. « J’avais peur que ces criquets-là parviennent à pondre car ici, on sait les conséquences que peuvent avoir leurs larves. » Pour cet agriculteur, la présence de l’essaim c’est la perte de son gagne-pain.

Le craquement court et sec des criquets écrasés se fait entendre au passage de la charrette où Aramata Dia est installée pour rejoindre Orcadière, une zone infestée. Vêtue de son boubou orange et blanc et de boucles d’oreille rouge et jaune, typiques de son ethnie, elle mime à grands gestes l’arrivée de l’essaim. « J’ai eu peur des criquets sur mon corps. Dans notre concession, c’était envahi, les enfants couraient se cacher dans les cases, tout ce que j’avais à l’esprit c’était m’échapper. » Aramata confirme les préoccupations de cette population, qui a vécu les invasions de 1986 et 1993. « Dès que les criquets pèlerins sont apparus, tout le monde a eu peur : ça correspondait avec les semis et l’histoire nous a montré que ces bestioles ne laissent rien là où elles passent. »

Guerriers. Tous les jours, Oumar, Meissa et seize autres combattants antiacridiens partent en 4 x 4 à la recherche d’essaims dans cette région de Matam qui fait plus de 29 000 km2. En contact permanent avec leurs homologues mauritaniens, ils peuvent prévoir l’arrivée des nuages, aidés par les villageois qui ont créé des comités de lutte dès 1986. Alertés, les combattants sont intervenus dès 4 heures du matin, le lendemain de l’arrivée de l’essaim à Gassembéry, avec leurs trois engins. Ibrahima et Boubacar avaient revêtu habits, gants et masques de protection pour pulvériser du fémical, un produit chimique, sur les sites infestés. Mais, soupire Oumar, « la veille, dans la nuit, il y a eu des pontes ».

En soufflant sur le sol, Oumar laisse apparaître des petites taches blanches, « les bouchons », qui permettent aux oeufs situés à 10 cm sous terre de garder l’humidité favorisant leur éclosion, entre 11 et 21 jours après la ponte. Et Oumar, avec ses grosses lunettes, ne peut que constater la présence des oothèques, contenant jusqu’à 120 oeufs qui devraient éclore sous peu. « Tout doit être en place pour que l’on puisse agir », lance ce guerrier d’un nouveau type qui avoue n’avoir « que ça dans la tête ». En ce début d’hivernage, les conditions sont optimales pour développer la ponte, et c’est ce que redoutent les services agricoles de la région : la création d’une génération locale. Sans compter qu’une fois écloses, les larves ne penseront qu’à « bouffer ».

Fatimata Sounoukou et les autres personnes âgées de Waoundé, à 9 km de Gassembéry, n’ont pas réussi à manger le soir de l’invasion, obsédées par leurs cultures. Mais, raconte Fatimata sous son voile bleu, les lèvres pleines de « sotiou » - espèces de cure-dents en bois - « le lendemain, les hommes sont partis pour vérifier les champs, et Dieu a fait que les criquets n’ont rien touché ».

Goutte d’eau. Tous s’accordent pour dire que ces premiers essaims n’ont pas fait de dégâts réels, mais les pontes et la situation en Mauritanie laissent redouter une catastrophe dans les semaines à venir. Sous les arbres à palabres, vieux et jeunes discutent des criquets, espérant que des moyens vont être donnés aux services agricoles pour sécuriser leurs cultures. « Car, explique Boubou, on a lutté et frappé avec des branches mais c’était une goutte d’eau dans la mer. Ceux qui volaient au-dessus de nos têtes étaient cent fois plus nombreux ceux qui étaient à terre. »

Par Marie-Laure JOSSELIN

© Libération

a lire aussi