Survie

Contribution à la réflexion pour la construction de la citoyenneté mondiale

Publié le octobre 2004 - Survie

Par Djilali BENAMRANE

Contribution intégrée au livre "Progrès et décroissance - Penser en citoyen du monde" Eric LE LANN, éditions Bérénice, août 2004, 5 €.

Ainsi flâne l’humanité, divaguant d’un individualisme forcené des origines, justifié par des impératifs de survie des hommes des cavernes à une organisation supposée solidaire qui prévaudrait dans un monde, devenant village planétaire, promis par les concepteurs du processus de globalisation en cours. Dans l’intervalle, mille et une formes d’organisation ont été promues, se sont consolidées ou exclues, celle en construction devant constituer une fusion des formes précédentes, tout au moins dans ce qu’elles ont apporté de positif.

Au fil du temps, l’humanité s’est construite sur des conflits de toutes natures, (religieux, idéologiques, économiques ou culturels), et de toutes tailles, (tribaux, locaux, régionaux, nationaux ou mondiaux). Demain, la qualité de vie dans le village planétaire va dépendre en grande partie de la paix, de la sécurité et du bien-être dont bénéficiera le citoyen du monde. Assurément, cela ne lui tombera pas du ciel mais découlera de sa capacité de s’impliquer dans la vision du projet d’organisation sociale planétaire et le cas échéant à participer aux combats pour les infléchissements, voire les transformations conséquentes.

Un village planétaire apaisé et ou il fera bon vivre, suppose une société planétaire de bien-être et de progrès, menée par un gouvernement planétaire pertinent dans sa structure, son organisation et son fonctionnement, ce qui est loin d’être le cas de l’ONU d’aujourd’hui, dont ce n’était d’ailleurs pas la vocation à la création. C’est dire la difficulté et la complexité des enjeux pour le citoyen du monde de demain, lequel au delà de la gestion des arbitrages quotidiens individuels et familiaux, de son implication dans la résolution des problèmes de la cité, de la région, du pays, ou de la communauté de pays, aura à allouer une partie croissante de ses efforts à ses droits et devoirs de citoyen du monde.

Changeant de standard d’intervention, le citoyen du monde ne part pas de rien. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et beaucoup de textes subséquents lui reconnaissent, au plan des principes, des droits fondamentaux à la vie, l’éducation, la santé, l’habitat, la justice et la sécurité. Ces droits et d’autres en cours de négociation ne sont pas acquis pour l’éternité et font périodiquement et systématiquement l’objet de tentatives de remise en cause, avec selon les périodes, des avancées et des reculs. Il en va ainsi par exemple du droit au travail dont la tendance historique est d’en garantir l’accès à toutes et à tous, avec une diminution du volume par travailleur du fait des progrès de productivité.

Il reste au citoyen du monde de transcender ses fantasmes et certitudes et de changer ses références en ayant la prétention et la volonté d’assimiler son sort et son devenir, non pas à son voisin, son compatriote ou son coreligionnaires mais à n’importe quel autre citoyen du monde de quelque endroit que ce soit. Il reste aussi au citoyen du monde d’évaluer ses actes d’aujourd’hui par rapport à leurs conséquences sur les citoyens du monde de demain. Les progrès extraordinaires des technologies de l’information et de la communication lui donnent des moyens d’implication et d’interactivité insoupçonnables, dans une démarche de développement humain durable qui attache toute son importance à la durabilité, à la pérennité de l’espèce.

La réflexion sur les biens publics mondiaux dégage des instruments d’analyse et d’action utiles au citoyen du monde pour prétendre, pour lui et pour ses semblables, le droit à l’accès équitable et à la satisfaction judicieuse des besoins essentiels. Pour ce faire, le savoir dans ses multiples composantes que sont l’information, la communication, l’éducation, la formation ou la culture, pour gérer en toute connaissance de cause son environnement politique, économique, culturel et écologique, constitue une condition fondamentale, au même titre que la satisfaction des besoins de santé, d’alimentation, de travail, d’habitation, de culture ou de loisirs.

Certains aspects du libéralisme et de la libre entreprise ont constitué des percées significatives, indéniables du progrès de l’humanité au même titre que les apports théoriques, méthodologiques ou pratiques du socialisme. Il n’empêche qu’il y a des activités humaines constituant des déterminants du devenir de l’humanité qui ne peuvent se satisfaire des arbitrages des lois du marché et ce quelque soit les garanties de régulation promises par les gouvernements et pouvoirs en place. Ces activités le plus souvent consomment du patrimoine humanitaire commun, telles les ressources énergétiques fossiles, ou compromettent des équilibres écologiques essentiels tels la pollution de l’air, des mers, des océans, ou des nappes aquifères, et de ce fait ne peuvent se satisfaire d’une exploitation qui sacrifie une part de la société universelle d’aujourd’hui ni celle des générations futures.

Il serait temps que le citoyen du monde prenne conscience de sa responsabilité nouvelle dans la conception, la construction et la gestion interactive des affaires du village planétaire. En ce village comme au sein d’une famille, les manquements à l’équité et à la justice sont intolérables. Il va lui falloir arbitrer le niveau de cohabitation entre des formes d’organisation apparemment contradictoires mais en réalité complémentaires, publiques et privées, de taille mondiale et locale, l’important est que les besoins essentiels soient accessibles à toutes et à tous, indépendamment des formes d’appropriation ou de gestion des biens et services y relatifs. Le chemin sera long et difficile comme en témoigne le gouffre abyssal qui s’approfondit et qui sépare les conditions de vie dans le Nord et de survie et de désespérance au Sud. Il ne s’agit pas d’une vue de l’esprit, le Sud se meurt dans l’indifférence de la communauté mondiale et ce n’est pas le énième signal d’alarme du discours de l’Administrateur du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) à la réunion du Conseil d’administration de cet honorable institution à la mi juin 2004 qui contredirait ce diagnostic. En effet, le PNUD admet que les projections réalistes et raisonnables du Sommet Mondial de 2000, fixant les Objectifs du Millénaires pour le Développement (OMD) à l’horizon 2015 ne seront pas atteints avant l’An 2147, sans autres indications sur le niveau escompté pour le Nord. Un siècle et demi de retard s’ajoutant au retard actuel et au différentiel exponentiel des rythmes de développement entre les deux ensembles, l’écart en milieu du 22iemes siècle ne s’apprécierait-il pas plutôt en millénaires !

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