Survie

Les cinq jours qui ont fait dérailler l’OMC

Publié le 16 septembre 2003 - Survie

Extraits tirés du Figaro, France, 16 septembre 2003.

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) a essuyé à Cancun un échec cuisant, qui entame les espoirs des partisans du libre-échange, et consacre un affrontement Nord-Sud inédit dans ce genre de négociations. Déjà sensible à Doha, la montée en puissance des pays en développement s’est illustrée à Cancun. Ceux-ci ont choisi de bloquer la négociation, plutôt que d’accepter un texte qui ne répondait pas, selon eux, à leurs préoccupations. Ce n’est pas directement sur le dossier agricole qu’a trébuché l’OMC mais sur des sujets chers aux pays riches (libéralisation de l’investissement, concurrence, amélioration des formalités douanières...) qui ont hérissé les pays du Sud. Ceux-ci ont refusé de discuter de ces thèmes, dits « sujets de Singapour », puisque les pays riches, Union européenne et Etats-Unis ne faisaient pas assez, selon eux, sur l’agriculture.

Dimanche à 15 heures, le président de la conférence, le Mexicain Luis Ernesto Derbez, met fin à la cinquième conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce en estimant que les négociations sont bloquées. Aux cris de joie des représentants des organisations non gouvernementales présentes dans la salle des congrès répond l’étonnement de nombreux délégués des gouvernements surpris par la soudaineté et la brutalité de la décision. (...)

Cette fin en queue de poisson ne fait cependant pas oublier que l’échec rôdait depuis le début de la conférence. La constitution du Groupe des 21, ou 22 selon les arrivées et les défections, autour de la Chine, du Brésil et de l’Inde, a radicalisé les débats en établissant un contrepoids offensif contre la coalition Europe-Etats-Unis qui avait adopté en août dernier une position commune sur l’agriculture. Arc-bouté sur le thème porteur des subventions dont il exige le démantèlement, le G 21 a recréé une dynamique Nord-Sud qui a enflammé les débats. « Des vagues d’applaudissements ont salué l’intervention indienne en séance », raconte, effaré, un délégué français (...)

Dans ce climat enfiévré, la rédaction du projet de déclaration sur le chapitre du coton a été ressentie comme une « provocation » par les pays africains, selon les termes d’un délégué français. Quatre d’entre eux [1] demandaient la fin des subventions des pays riches sur ce sujet, principalement les Etats-Unis. Alors que le directeur général de l’OMC, Supachai Panitchpakdi, avait pris en main le dossier, au milieu d’un concert de déclarations favorables aux pays demandeurs, la rédaction du projet leur enjoignait de « diversifier » leur économie, reprenant ainsi purement et simplement le point de vue des Etats-Unis.

Cet alignement sur Washington, maladroit ou délibéré, a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. A partir de ce moment, les Africains n’ont plus voulu entendre parler d’accord, ouvrant ainsi la crise. Résultat le plus tangible de l’absence d’accord, le calendrier de Doha ne sera pas respecté. (...)

J.-L. V


Amère victoire pour les pays du Sud

(...) Pour un cycle de « développement », la potion est finalement plutôt saumâtre pour les paysans africains. Certes, ils sont repartis avec le sentiment d’avoir remporté une victoire politique, mais « nous nous sommes sentis humiliés, moins que rien, traînés dans la boue », raconte l’un d’entre eux, « scandalisés par un tel mépris ».

« Le bilan est malgré tout positif, tient à tempérer le ministre du Commerce malien, Choguel Kokalla Maiga, car le coton, sujet encore tabou il y a quelques mois, a volé la vedette à d’autres thèmes. Et au final, l’échec de la conférence n’en est pas un pour nous, car ce que l’on a voulu nous imposer était pire. » (...)

Partout, la pauvreté est le meilleur terreau du radicalisme. Les pays riches ne doivent pas ignorer, à leurs risques et périls, le ressentiment qui croît contre eux au sein de l’OMC expliquait en substance hier Georges Yeo, ministre Singapourien du commerce : « ceux d’entre nous, qui nous portons mieux que les PMA, n’avons aucun intérêt à ce qu’ils restent dans la misère car, à terme, leurs problèmes deviennent les nôtres, que ce soit par le biais du terrorisme, des grandes épidémies ou de l’immigration ».

Par Sixtine Léon-Dufour

© Lefigaro.fr

[1le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et la Tchad, dont les économies sont parmi les plus pauvres du monde et sont très fortement dépendantes de cette culture.

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