Survie

Propriété intellectuelle : les pays du Sud se rebellent

Ils exigent plus de souplesse sur les brevets et droits d’auteur pour favoriser leur essor.

Publié le 20 septembre 2004 - Survie

Libération, France, 20 septembre 2004.

Ce qui est bon pour Hollywood et l’industrie pharmaceutique américaine n’est pas bon pour toute la planète. C’est au nom de ce principe qu’un groupe de pays en développement, Brésil et Argentine en tête, vient d’ouvrir un nouveau front dans les négociations internationales en demandant une réforme des politiques dans le domaine de la propriété intellectuelle.

Objectif  : alléger les contraintes qui pèsent sur les pays du Sud en matière de brevets ou de droits d’auteur afin de leur permettre de copier certaines technologies du Nord et d’accéder plus facilement à l’information. La proposition sera discutée à partir du 27 septembre lors de l’assemblée générale de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi), agence spécialisée des Nations unies (lire ci-contre). « Le rôle de l’Ompi ne doit pas être limité à la promotion de la propriété intellectuelle. L’organisation doit inscrire le développement dans ses missions », a déclaré mardi dernier Marta Gabrieloni, de la mission permanente de l’Argentine auprès de l’ONU, lors d’un colloque sur l’Ompi organisé à Genève par la fédération d’associations de consommateurs Transatlantic Consumer Dialogue.

« Sujet chaud ». En ligne de mire, les pressions des pays du Nord pour aligner via des traités, le régime des brevets ou des droits d’auteur des pays du Sud sur celui en vigueur chez eux. « Les Etats-Unis voient l’OMPI comme un outil de politique commerciale : ils s’en servent pour promouvoir leurs industries les plus compétitives », souligne le Kényan Sisule Musungu, consultant de l’ONG South Centre. Autrement dit : c’est pour ouvrir de nouveaux marchés à leurs industries culturelles qu’ils poussent pour un haut niveau de protection du copyright, tout comme la promotion des brevets vise à assurer des débouchés aux firmes les plus en pointe dans le domaine technologique.

« C’est un sujet chaud qui a vraiment démarré avec le débat sur l’accès aux médicaments », poursuit Sisule Musungu. En novembre 2001, à Doha, les pays développés ont dû concéder aux pays du Sud le droit de copier des médicaments encore sous brevets en cas d’urgence sanitaire. La proposition du Brésil et de l’Argentine vise à étendre ce principe. « Un niveau trop élevé de protection peut empêcher les pays sous-développés de se procurer des médicaments à bas prix, mais limite aussi la création d’industries locales », explique le Malais Martin Khor, de l’ONG Third World Network. Même critique lorsque le droit d’auteur empêche la copie à bas prix de livres scolaires ou scientifiques. « Le livre l’Avantage concurrentiel des nations de Michael Porter est vendu 45 dollars en Thaïlande et 40 dollars aux Etats-Unis, ironise le Malais Sothi Rachagan, de l’association Consumers International. Rapporté aux niveaux de vie, c’est comme si ce livre était vendu 300 dollars aux Etats-Unis : si c’était le cas, cela fait bien longtemps que les Américains auraient modifié leur législation. »

Les promoteurs d’une réforme de l’OMPI soulignent l’hypocrisie des pays aujourd’hui développés, dont bon nombre ont fait preuve de souplesse en matière de propriété intellectuelle lorsque cela servait leurs propres objectifs de développement. C’est le cas des Etats-Unis, qui ont refusé d’accorder un copyright aux livres étrangers jusqu’en 1891 : les oeuvres britanniques, majoritaires à l’époque, pouvaient être copiées sans entrave, procurant des revenus faciles aux éditeurs américains. De même, la Corée du Sud et Taiwan ont refusé d’accepter la plupart des brevets étrangers pendant leur décollage économique, dans les années 60 à 80, afin de soutenir une industrie locale fondée sur l’imitation.

« Première étape ». « Pas mal de pays en développement feraient mieux de consacrer plus d’argent à l’éducation et moins à l’armement avant de vouloir copier », estime un représentant du gouvernement américain. Même agacement pour Rogier Wezenbeek, de la Commission européenne, qui assure que « les traités contiennent assez de flexibilités pour les pays qui en ont besoin ». La mise en débat du sujet n’est qu’une « première étape », relativise Martin Khor. Un large consensus sera nécessaire pour modifier le mandat de l’OMPI, ce qui, selon un cadre de l’organisation, « pourrait prendre des années ».

Par Florent LATRIVE

Envoyé spécial à Genève

© Libération


A quoi sert l’Ompi ?

L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle est une agence des Nations unies qui compte 180 Etats membres. Sa mission est de « promouvoir la protection de la propriété intellectuelle » et de coordonner les politiques mondiales de brevets, droits d’auteur et marques déposées. Elle gère 23 traités internationaux.

Résistance. Face aux résistances de pays du Sud rétifs au « toujours plus » de brevets ou droits d’auteur, les pays du Nord ont court-circuité l’OMPI en 1994 pour mettre sur les rails le traité Adpic (aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Tout pays membre de l’OMC doit depuis accepter des règles minimales de propriété intellectuelle.

Travaux. Deux sujets polémiques sont en négociation à l’OMPI : un traité renforçant les droits des diffuseurs audiovisuels et un second visant à éviter le pillage des savoirs traditionnels des pays du Sud par les entreprises du Nord.

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