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Trois stratégies pour vaincre l’OMC

Publié le 19 août 2003 - Survie

Extraits tirés de Courrier international, France, 19 août 2003.

(...) Docteur en droit des affaires, spécialisée dans le commerce international, [Lori Wallach] dirige le département de surveillance de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de Public Citizen - organisation fondée aux Etats-Unis par Ralph Nader en 1971, qui compte aujourd’hui 250 000 membres.

En septembre, à Cancún (Mexique), l’Organisation mondiale du commerce va rediscuter l’Accord général sur le commerce des services (AGCS). De quoi s’agit-il exactement ?

Il s’agit d’un des accords de l’OMC, au nombre de 23 pour l’instant. Signé en 1994, l’AGCS, actuellement en cours de révision, comprend 160 secteurs de services. Il vise à terme à leur "libéralisation". Derrière ce mot, il faut, bien sûr, entendre privatisation, avec les conséquences que l’on peut imaginer. Notons que, pour l’OMC, le mot service possède un sens bien particulier, que l’on peut résumer de cette façon : un service, c’est tout ce qu’on ne peut pas faire tomber sur son pied.

Ainsi, (...) le pétrole est une marchandise, mais son extraction, sa transformation et sa distribution sont des services. Collecter, transformer, distribuer quoi que ce soit sont autant de services qui relèvent de l’AGCS.
Concrètement, cet Accord général sur le commerce des services constitue une attaque violente quoique souterraine contre des pans entiers de la société, qui seront livrés à des gangsters comme ceux d’Enron. Alors que les partisans de l’OMC ne cessent de condamner les expropriations, qu’ils considèrent comme une atteinte à la propriété privée, l’AGCS équivaut à l’expropriation des biens publics. C’est un vol.

Vous considérez que cet accord est également une atteinte à la démocratie. Pourquoi ?

Prenons un exemple : si la France accepte de libéraliser les services de l’énergie, elle devra alors autoriser des entreprises privées à construire des centrales nucléaires sur son territoire. Ce ne sera plus une question de choix politique ; cela deviendra un droit acquis pour les grandes firmes étrangères. Or il n’y aura pas de demi-mesure : les textes de l’OMC prévoient que, si l’on accorde un "privilège" à une société, il faut traiter toutes les autres de façon non discriminatoire. En autoriser une revient à les autoriser toutes !

De plus, il n’y aura pas de retour en arrière possible. Même si un pays décidait de revenir sur les autorisations délivrées, il n’y parviendrait pas, concrètement. En effet, les textes stipulent que le gouvernement doit alors indemniser non seulement la société concernée, mais toutes les sociétés des 143 pays membres qui auraient pu se positionner sur ce marché !

D’autre part, les textes de l’OMC prévoient que tous les pays membres doivent veiller à la conformité de leurs lois, réglementations et procédures administratives avec les 23 accords. De fait, ces derniers, pour lesquels nous n’avons pas été consultés et qui se négocient en secret, deviennent ainsi la loi mondiale suprême. (...)

Quelle est la position de l’Europe ?

Alors que, par le passé, l’Europe a joué plutôt un rôle de contrepoids face aux Etats-Unis, les Européens constituent cette fois, malheureusement, le fer de lance de la libéralisation des services, suivis par les Etats-Unis et le Japon. C’est l’Union européenne (UE) qui demande qu’une nouvelle catégorie de services soit prise en compte par l’AGCS : les services dits d’environnement, c’est-à-dire le captage et l’épuration de l’eau, les déchets, la gestion des paysages... Parce que les plus grandes firmes de ce secteur sont européennes, comme Veolia environnement (ex-Vivendi environnement) et Suez, ces domaines vitaux figurent aujourd’hui sur la liste des secteurs à privatiser. En échange, les Etats-Unis réclament la privatisation de toute la filière énergie et la libéralisation de la gestion des parcs nationaux des pays membres.

Que pensez-vous qu’il faille faire ?

Face à un projet aussi dément, la seule chose à faire est de s’en débarrasser. (...) En 1998, lors des négociations sur l’AMI (Accord multilatéral sur l’investissement), nombreux étaient ceux qui pensaient qu’il était trop tard, que la partie était perdue d’avance. Aujourd’hui, cet accord est mort et enterré. Parce qu’un tel projet, une fois dévoilé, devient indéfendable.
Le cas de l’AGCS est similaire. Aux Etats-Unis, même si nous ne sommes qu’en deuxième ligne et que les services publics sont beaucoup moins développés qu’en Europe - 40 % des Américains n’ont aucune couverture sociale -, Public Citizen a lancé une campagne, baptisée "SOS : save our services" (...)

En conclusion, comment voyez-vous la réunion de Cancún ?

Je suis plutôt optimiste. L’AGCS est tellement scandaleux que pratiquement tous les pays en développement y sont opposés. Mais les Etats-Unis et l’Union européenne ont des tactiques machiavéliques. Ils peuvent contraindre des pays à signer, par exemple en les menaçant de mesures de rétorsion - supprimer tel ou tel accord économique ou telle subvention. C’est une autre raison pour laquelle la mobilisation, en Europe et aux Etats-Unis, est essentielle : sans elle, les pays les plus riches imposeront leur volonté aux pays en développement. (...)

Propos recueillis par Olivier Blond

© Courrier international

Interview réalisée dans le Larzac à l’occasion du rassemblement contre l’OMC. Certains des propos de Lori Wallach ont été repris de son intervention lors de cette réunion.

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