Survie

Le droit à polluer est devenu un placement

Publié le 8 décembre 2005 - Lounis Aggoun

Extraits tirés du Figaro, France, 8 décembre 2005

Vous prendrez bien quelques quotas de CO2 ?« Volontiers. Malgré un investissement dans un mécanisme de développement propre (MDP, [1]) au Brésil et un projet de mise en oeuvre conjointe (MOC) dans un pays de l’annexe I  [2], je suis encore « court »  [3], car mon facteur carbone [4] a augmenté ». Entre les lignes de ce jargon sibyllin propre aux cénacles onusiens, une oreille avertie aura compris : je vais devoir acheter des quotas de droit à polluer car je pollue de plus en plus.

Ce type de conversation va bon train dans les couloirs de la 11e conférence des parties au protocole de Kyoto qui se tient depuis la semaine dernière à Montréal, où 180 pays tentent de renforcer la lutte contre les changements climatiques. Car les chercheurs, diplomates, ONG et ministres de l’Environnement, attendus à la table des négociations jusqu’à demain, ne sont pas seuls à prendre part à cette foire d’empoigne. Les industriels et financiers du carbone sont eux aussi de plus en plus nombreux à arpenter les couloirs en vue soit de convaincre un responsable d’un pays en développement d’accueillir un projet « vert », soit de racheter au meilleur prix à un investisseur les crédits qu’il aura acquis.

L’idée, c’est de revendre ces crédits d’émission avec une plus-value dans quelques années. Plus exactement entre 2008 et 2012, lorsque les pays industrialisés, assujettis à des engagements de réductions d’émissions (- 5,2% en moyenne entre 1990 et 2012), qui n’ont pas atteint leurs objectifs - ainsi que leurs entreprises sur lesquelles rejaillissent ces obligations par ricochet - devront acheter sur le marché international des quotas aux acteurs qui ont fait mieux que leurs engagements. (...)

220 euros la tonne de CO2

Mais à quel prix ? Sur le marché intra-européen, lancé au 1er janvier dernier, 134,5 millions de tonnes d’équivalent CO ont été échangées au premier semestre entre les 11 000 sites industriels concernés, selon l’organisme Point Carbon, qui évalue ce marché à 5 milliards d’euros pour 2005. La tonne de CO se monnaye environ 20 euros, contre 7 en janvier. Un prix à comparer avec la pénalité en cas de non-respect de ses engagements : 40 euros par tonne excédentaire jusqu’en 2008, 100 euros ensuite.

Le prix sera naturellement fonction de l’offre et de la demande. Or « la demande devrait représenter entre 4 et 5,5 gigatonnes de CO à l’échéance 2008-2012, soit le dixième des besoins », estime Richard Baron, de l’Agence internationale de l’énergie. (...)

Par Caroline de Malet

[1Mécanismes permettant à ceux qui ont dépassé leurs quotas d’investir dans les pays en développement (pour le MDP) et dans les pays en transition de l’Est (pour le MOC) afin d’être crédités de quotas.

[2Pays industrialisé.

[3Un industriel est « court » quand ses émissions ont dépassé le volume de quotas qui lui est alloué.

[4Facteur carbone : ratio entre le volume de CO2 émis et la production.

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