Survie

Le regain des centrales solaires dans le monde

En Espagne, le prix de rachat de cette énergie est très incitatif pour les industriels.

Publié le 26 octobre 2004 - Survie

Libération, France, 26 octobre 2004.

Le rêve porté par Themis en 1983 ­ produire de l’électricité en grande quantité grâce aux rayons concentrés du soleil ­ est déjà une réalité. Il existe dans le monde une dizaine de centrales solaires en fonctionnement, d’une puissance totale de 350 mégawatts (MW) ­ moins du tiers d’un réacteur nucléaire français. Toutes ces centrales sont aux Etats-Unis. Mais sous l’impulsion de Kyoto, et face aux incertitudes liées au pétrole, nombre de pays ont lancé des projets de construction : Afrique du Sud, Australie, Inde, Israël, Mexique, Maroc...

En Europe, l’Italie et surtout l’Espagne sont très en pointe, soutenues technologiquement par des industriels allemands. Le nouveau gouvernement de Madrid a inscrit dans son projet énergétique un objectif de 600 MW à l’horizon 2011. « Le prix de rachat de l’énergie solaire par les grandes compagnies d’électricité conditionne le décollage du solaire, explique Manuel Romero-Alvarez, directeur du département énergie renouvelable au Ciemad (centre espagnol de recherche sur l’énergie et l’environnement). En Espagne, il est de 21,6 centimes d’euro, soit trois fois le prix moyen du kilowattheure. C’est très incitatif pour les industriels. En France, avec un tarif à 15 centimes, je comprends que personne ne veuille se lancer. »

Certes, on ne peut pas construire des centrales solaires où l’ensoleillement est faible. Inversement, les meilleurs emplacements ­ rassemblés sur les zones tropicales de la planète ­ n’offrent que peu d’intérêt pour les régions industrialisées du Nord. « Cependant, rappelle Cédric Philibert, de l’AIE (Agence internationale de l’énergie), 70 villes de plus d’un million d’habitants sont situées à moins de 300 km de sites favorables à l’implantation de centrales solaires. » Actuellement, l’Algérie est en train d’installer deux gros câbles sous la mer destinés à transporter vers l’Europe méridionale de l’électricité solaire. Selon un rapport récent de Greenpeace et de l’Estia (European Solar Thermal Industry Association), le solaire à concentration pourrait couvrir, d’ici trente ou quarante ans, jusqu’à 10 % des besoins mondiaux d’énergie.

Par Pierre DAUM


Energie. Projet de réhabilitation de l’ancienne centrale solaire en centre de recherches.

Themis pourrait retrouver de son éclat

Rien n’a bougé. Comme si, autour de l’ancienne centrale solaire de Targasonne (Pyrénées-Orientales), construite en 1983 et abandonnée par EDF en 1986, le temps s’était figé. La longue tour domine toujours de son oeil sévère les 170 miroirs solaires (ou héliostats) qui l’irradiaient d’autant de soleils. Jusqu’à cette année, des physiciens avaient profité de ce site au ciel exceptionnellement pur pour conduire des expériences d’astronomie gamma. Cette fois, tout le monde est parti. Mais une poignée de chercheurs espère redonner à Themis le lustre d’antan.

A la pointe. Le vent, la neige, le soleil, rien ne semble avoir affecté ces étranges miroirs. « Seuls leurs mécanismes de rotation sont à changer, explique Alain Ferrière, chargé de recherche au CNRS. A part ça, tout est prêt à fonctionner à nouveau. » Car tel est bien le rêve que nourrissent aujourd’hui les 40 chercheurs de Promes, le laboratoire de recherche sur les énergies solaires dépendant du CNRS, installé depuis quarante ans à l’arrière du four solaire d’Odeillo, à quelques kilomètres de Targasonne : relancer Themis, non pour en refaire une centrale électrique solaire, comme à son origine, mais pour créer un centre français de recherches et d’expérimentations sur les systèmes solaires à concentration.

Contrairement aux capteurs voués au chauffage solaire (basse température) ou aux panneaux photovoltaïques (production directe d’électricité), ces systèmes à concentration utilisent soit une tour chauffée par des miroirs plans qui suivent le soleil, soit des capteurs en forme d’auge dotés d’un tube sous vide. Ils permettent d’atteindre des températures élevées (entre 400 °C et 3 000 °C) et donc d’alimenter des turbines par de la vapeur d’eau sous pression.

Au début des années 80, avec la construction d’une des toutes premières centrales solaires à tour à Targasonne, la France s’était placée à la pointe de cette nouvelle technologie. Pour l’abandonner presque immédiatement : complètement investie dans sa politique nucléaire, EDF avait trouvé « trop chers » les deux mégawatts produits à Targasonne. Or, aujourd’hui, face au problème crucial des gaz à effet de serre, on assiste à un timide retour du balancier en faveur de l’énergie solaire (voir ci-dessous). Avec une priorité : la réduction des coûts de production. « Or, pour cela, argumente Gilles Flamant, directeur du Promes, nous avons besoin de nouveaux programmes de recherche. »

Débouchés. L’Espagne, très en avance dans ce domaine, dispose déjà, à Almeria (...), d’un grand laboratoire d’expérimentation du type de ce que pourrait devenir Themis. Mais ce centre d’essais est déjà saturé. « La réhabilitation de Themis viendrait à point, dans une vision européenne globale, pour compléter Almeria », insiste Gilles Flamant. Avec des perspectives de débouchés industriels importants, où l’on verrait des centrales solaires jaillir dans des pays inondés de soleil par exemple au Maghreb ­ grâce à de la technologie française.

Rentabilité. La question du lancement du projet de laboratoire à Themis est essentiellement politique. Le 20 octobre, l’équipe de Promes a organisé un forum à Odeillo, dont le but avoué était de présenter aux responsables des différentes collectivités territoriales les alléchantes perspectives de l’énergie solaire concentrée. Bernard Equer, représentant du ministère de la Recherche, a eu le mérite de la franchise : « Si votre projet est bien ficelé, il n’y a pas de raison que le ministère le rejette. Ce qui ne veut pas dire qu’il y mette les moyens. » Côté département, Alain Siré, directeur des services économiques du conseil général des Pyrénées-Orientales (propriétaire du site de Themis), est venu expliquer qu’il n’avait « rien contre l’idée d’une reconversion partielle de Themis en centre de recherche », mais qu’il désirait qu’« une partie des héliostats soit réservée à la production d’électricité photovoltaïque », dont la rentabilité économique est bien plus immédiate. Quant à la région Languedoc-Roussillon, dirigée depuis mars par les socialistes et les Verts, elle n’a envoyé aucun représentant.

Conscients de l’enthousiasme limité des institutions pour leur projet, les chercheurs du CNRS d’Oreillo ont promis d’investir dans la résurrection de Themis une énergie « renouvelable à l’infini ».

Par Pierre DAUM, envoyé spécial à Targasonne.

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