Survie

« Créer un impôt pour un budget mondial de l’eau »

Publié le 18 mars 2003 - Victor Sègre

Libération, France, 18 mars 2003.

Riccardo Petrella est professeur d’économie à l’université de Louvain (Belgique) et conseiller à la Commission européenne. Il est l’auteur du Manifeste de l’eau lancé en 1998 et l’un des fondateurs de l’Acme, l’Association pour un contrat mondial de l’eau.

L’idée d’un impôt de solidarité sur l’eau, prélevé sur la facture des consommateurs des pays riches, commence à faire son chemin, notamment au Forum mondial de Kyoto. Qu’en pensez-vous ?

Un prélèvement de centimes d’euros sur des mètres cubes d’eau pour financer des projets de coopération permet en effet de financer des forages de puits, des stations d’épuration ou des recherches technologiques. Ce genre d’initiatives se multiplie en France (1 million d’euros par an collectés en Ile-de-France), en Grande-Bretagne ou en Italie (900 000 euros par an en Toscane). S’il ne faut pas les sous-estimer, ce n’est pas, non plus, la panacée. Ces initiatives ne remettent pas en cause, par exemple, la surutilisation de l’eau dans l’agriculture qui, à elle seule, pompe 70 % de l’eau mondiale.

Comment voulez-vous financer l’accès à l’eau ?

Il faut établir un système fiscal mondial au service de l’ensemble de biens publics qui doivent être considérés comme mondiaux : santé, éducation, eau... Un budget mondial de l’eau pourrait ainsi être alimenté via la collecte d’impôts régionaux. Pourquoi ne pas imaginer une taxe sur la vente des eaux minérales en Europe ? Ou encore la production d’énergie électrique à partir centrales hydrauliques ? Ou un impôt des Etats ? Ce serait la contribution de l’Europe au service mondial de biens communs, à commencer, bien sûr, par les pays du Sud. Tout est question de volonté politique. Or aujourd’hui la priorité reste de favoriser une approche de délégation de service public aux seules multinationales privées, comme Suez ou Vivendi Environnement.

Pourquoi ces partenariats public-privé représentent-ils selon vous une menace ?

Parce qu’ils partent du présupposé que seuls les marchés financiers sont capables d’aboutir aux meilleurs modes de financement. Eux qui vont permettre de trouver 100 milliards de dollars annuels supplémentaires aux 80 milliards existants ! Or ce montant est largement surestimé parce qu’il inclut, entre autres, la rentabilité nécessaire pour les multinationales. En revanche, l’Acme évalue à 30 milliards les besoins, uniquement financés par le public, avec pour seule priorité l’intérêt général...

En attendant un hypothétique impôt global, les investissements privés ne sont-ils pas incontournables ?

On sort justement de cette croyance. La décennie 90 a été une période de rêve pour les entreprises de l’eau, notamment française et allemande. Elles ont raflé les contrats de privatisation de plus de cent grandes villes. On leur reproche, par exemple, de ne pas avoir réalisé les investissements promis, d’augmenter les prix à la moindre baisse de leur profit... Notamment en Algérie, en Afrique du Sud, au Ghana, au Nigeria, en Argentine, en Bolivie, et même aux Etats-Unis, à Atlanta. En 2004, des milliers de contrats de l’eau vont être rediscutés en France. Les usagers risquent fort de se mobiliser pour que l’eau redevienne un bien géré par des services publics. Ce mouvement ne cesse de prendre de l’importance en Grande-Bretagne, en Belgique ou en Italie.

Par Vittorio DE FILIPPIS et Christian LOSSON

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