Survie

« Pour un minimum vital gratuit de 40 litres par jour et par habitant »

Publié le 17 mars 2003

L’Humanité, France, 17 mars 2003.

Poids des multinationales, financement des infrastructures, propositions alternatives... Jean-Luc Touly, président de l’Association pour un contrat mondial de l’eau, lance notre semaine spéciale consacrée à l’eau.

Présent à Johannesburg, au Sommet mondial sur le développement durable (septembre 2002) en compagnie d’autres associations, Jean-Luc Touly s’était bien juré alors de ne plus participer à ce type de grands sommets institutionnels. Devenu président de l’Association pour un contrôle mondial de l’eau, il nous explique pourquoi il ne sera pas à Kyoto, mais bien à Florence, qui accueillera jeudi et vendredi le contre-sommet sur cette question majeure.

Qu’attendez-vous du Forum mondial de l’eau qui s’est ouvert hier à Kyoto ?

Jean-Luc Touly. Pas grand-chose. Depuis un mois, de nombreux débats ont été organisés avec les principaux organisateurs, notamment les responsables du Conseil mondial l’eau. On sait à peu près ce qui va être proposé, notamment après la publication du rapport Camdessus (...) sur la sécurisation des investissements du secteur privé de l’eau dans les pays en développement. Lors d’une conférence de presse récente, nous avons interpellé le gouverneur du Conseil mondial de l’eau, Loïc Fauchon, qui n’est autre que le président de la Société des eaux de Marseille, propriété de Suez et de Vivendi, sur l’indépendance de ce conseil par rapport aux grands groupes. La réponse a été particulièrement agressive. De fait, les liens de ce type d’institution avec les multinationales sont encore très prégnants. C’est l’école de l’eau à la française. Une école qui défend l’idée, que nous combattons, que seuls les partenariats public-privé peuvent faire avancer la cause de l’eau. Pour les organisateurs de ce forum, le problème de l’eau se résume à un problème de financement, et donc d’argent. Nous disons au contraire que certains principes doivent être posés : l’eau, bien commun de l’humanité, ne doit pas être soumise aux seules lois du marché. C’est d’abord et avant tout une question de volonté politique. Les Etats-Unis dépensent 1 milliard de dollars par jour pour l’armement. Si l’on consacrait autant d’argent, ou plus, à l’eau, de nombreux problèmes seraient résolus.(...)

Pourquoi Florence plutôt que Kyoto ?

Jean-Luc Touly. Car ce n’est pas dans ces grandes réunions, avec 300 ateliers, 10 000 personnes, où les textes sont déjà préparés à l’avance, que l’on règle les problèmes. C’est la même philosophie que Porto Alegre face à Davos. Nous pensons, contrairement à ce qui se dit à Kyoto, que l’eau va devenir le pétrole du XXIe siècle. C’est pourquoi nous envisageons la création d’un tribunal mondial de l’eau, pour que tous ces conflits qui vont naître autour de l’eau ne se règlent pas localement, pour que le partage des eaux se fasse au niveau international. Aujourd’hui, quand des Australiens ou des Américains consomment 700 litres d’eau, les Palestiniens ou les Africains se contentent de 10 à 30 litres. Certes, la ressource est mal répartie. Mais il faut tout de même tendre vers un rééquilibrage. Notamment par des luttes contre le gaspillage. Il y a toute une politique à mettre en ouvre, qui n’est pas que locale, mais bien internationale.C’est l’un des sujets dont nous discuterons à Florence.

" L’eau, bien commun de l’humanité ", comment cela marche concrètement ?

Jean-Luc Touly. Au-delà de la reconnaissance de ce postulat dans les traités internationaux, il faut effectivement le matérialiser, le rendre lisible. Ce que nous proposons, c’est l’octroi d’un minimum vital gratuit de 40 litres d’eau par jour et par habitant, ce qui correspond au minimum vital moyen selon l’OMS. Nous avons étudié, en partenariat avec les élus, la faisabilité de cette mesure, dans une commune française d’environ 30 000 habitants. Nous avons pris en compte l’ensemble des données locales (usages agricoles, industriels, domestiques, nombre de résidences secondaires, taille des familles...). Nous rendrons publics les résultats de cette étude à Florence. D’ores et déjà, je peux vous dire qu’elle montre que cette mesure est réaliste, notamment en mettant en place une tarification progressive, après les 40 premiers litres. Le contre-forum de Florence ne sera pas une simple contestation de Kyoto. Il sera aussi le lieu de production d’idées alternatives et applicables. Si on se contente de porter des idées généreuses, on en reparlera encore dans trente ans. Or, on ne peut pas attendre aussi longtemps. Car en 2020, nous serons à peu près 8 milliards sur la planète, dont 3 milliards sans eau potable et 5 milliards sans assainissement.

Entretien réalisé par Alexandre Fache

© L’Humanité

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