Survie

Vers une protection mondiale des gens de mer victimes d’abandon

Publié le 24 février 2007 - François Lille, François-Xavier Verschave

Du Bureau international du travail (BIT) BIT en ligne - No. 65 - Jeudi 7 décembre 2006

Abandonnés mais pas perdus : vers une protection mondiale des gens de mer victimes d’abandon

La complexité de la mondialisation et son impact sur les activités maritimes ont rendu plus pressant que jamais le besoin d’aider les marins abandonnés dans les ports étrangers. Une base de données récemment créée par l’OIT sur les incidents répertoriés d’abandon de gens de mer */ est un premier pas dans cette direction. Depuis janvier 2004, 40 cas d’abandon dans le monde entier ont été enregistrés.

PORT VICTORIA, Seychelles (BIT en ligne) - En janvier 2006, le navire Al Manara, battant pavillon de Saint Kitts et Nevis, a quitté la Somalie pour Dubaï avec une cargaison de charbon. Une panne machine a contraint le navire à se détourner de sa route pendant 18 jours, jusqu’à ce qu’il soit remorqué par les autorités portuaires des Seychelles.

Pendant ce temps, ses certificats ont expiré, ses réserves d’eau et de nourriture ont été épuisées et bientôt le navire fut infesté de rats et de cafards. Non seulement le propriétaire du cargo rechignait à payer les frais de remorquage et l’approvisionnement du navire, mais il accusait également un retard de six mois dans le paiement des salaires des 18 marins, originaires d’Éthiopie, d’Inde, d’Irak, du Myanmar, du Soudan, de Somalie et d’Ukraine.

En juillet 2006, quatre membres d’équipage étaient encore à bord, alors que quatre autres avaient été rapatriés par la Fédération internationale des ouvriers du transport. Les coéquipiers restants recevaient de quoi survivre de la part des autorités portuaires des Seychelles.

« Le cas d’Al Manara n’a rien exceptionnel », déclare Jean-Yves Legouas, expert principal pour le secteur maritime auprès du BIT. « Il y a encore hélas des cas d’abandon. Bien qu’ils puissent être considérés comme rares au regard de la navigation mondiale qui compte plus d’1,2 million de marins, ce sont des expériences douloureuses et interminables pour les gens de mer concernés. »

Depuis janvier 2004, la base de données de l’OIT a enregistré 40 cas d’abandon de marins dans les ports du monde entier, d’Algesiras à Adélaïde et de Portland au Pirée. Des centaines de milliers de dollars d’arriérés de salaires étaient dus à plus de 500 marins du monde entier lorsque leurs navires ont été abandonnés. Ces données proviennent des gouvernements (généralement les autorités portuaires) et d’autres organisations concernées, y compris des associations de protection des gens de mer, des syndicats et les armateurs qui sont supposés envoyer les informations idoines à l’OIT.

« L’année dernière, très peu ou pas de cas ont été résolus, malgré une initiative conjointe du Directeur général du BIT, et du Secrétaire général de l’Organisation maritime internationale (OMI) qui ont personnellement écrit aux Etats Membres ayant un navire arborant leur pavillon, abandonné quelque part dans le monde », précise M. Legouas.

Il n’est pas rare qu’un navire soit la propriété de ressortissants d’un pays, qu’il soit enregistré sous un autre pavillon et que son équipage réunisse plusieurs autres nationalités. « Le sort des gens de mer concernés est très aléatoire : selon le port d’abandon, le propriétaire du navire et le niveau de réaction de la représentation diplomatique ou consulaire, ils obtiendront ou non un traitement rapide et satisfaisant de leur situation », explique M. Legouas.

Dans certains cas, cependant, l’abandon du bateau et de l’équipage n’est pas clairement établi du fait d’ordres contradictoires émanent de la compagnie : des promesses de paiement, d’approvisionnement en nourriture et en équipement peuvent être faites mais pas honorées, rendant flou le moment où l’abandon est caractérisé. « Des propriétaires envoient quelques centaines de dollars de temps à autre. Pas assez pour survivre, mais suffisamment pour rendre l’abandon incertain », précise M. Legouas.

L’entrée en fonction de la base de données de l’OIT, qui a reçu le soutien de l’Association internationale des approvisionneurs de navires, a été décidée lors de la Sixième session du Groupe de travail ad hoc mixte OMI/OIT d’experts sur la responsabilité et l’indemnisation des réclamations en cas de décès, de lésions corporelles et d’abandons des gens de mer qui s’est tenue à Londres du 19 au 21 septembre 2005.

Dans le traitement des cas de blessures ou de décès, des imbroglios liés aux nationalités des marins et des armateurs compliquent encore plus la situation. Résoudre les problèmes soulevés par les décès, lésions corporelles ou abandons contribuera à réaliser l’objectif d’harmonisation et d’applicabilité de la nouvelle Convention du travail maritime de l’OIT au regard des conditions de travail des gens de mer. Adoptée lors d’une session spéciale de la Conférence internationale du Travail de février 2006, la Convention établit un socle socio-économique pour la concurrence mondiale dans le secteur maritime.

« Le travail des gens de mer est une part indispensable de nos vies. Parce que 90 pour cent du commerce mondial transite par voie maritime, et plus encore parce qu’il s’agit de travailleurs qui ont des droits, nous devons garantir des conditions de travail décentes à tous les gens de mer », conclut M. Legouas.


*/ Pour plus d’informations, consultez

a lire aussi