Survie

Les Indiens plaident pour leurs savoirs

Publié le 2004 - Survie

Les Indiens du Brésil se mobilisent contre la biopiraterie. Réunis le week-end dernier à Brasilia, une trentaine de « pajés », les sorciers amérindiens, ont appelé à la protection de leurs connaissances traditionnelles, portant sur les vertus thérapeutiques des espèces d’Amazonie et la composition de préparations naturelles tropicales.

Pragmatisme. Il s’agit, selon la déclaration finale, de mettre fin à l’« usurpation » de ces savoirs ancestraux qui se poursuit malgré l’adoption, en 1992, de la convention sur la diversité biologique (CDB). Ce texte, qui établit la souveraineté des pays sur leurs ressources biologiques et le partage équitable des fruits de la biodiversité, est resté lettre morte. Résultat, des espèces végétales et animales sont pillées par des chercheurs ou des entreprises, le plus souvent des pays riches, et leurs principes actifs brevetés sans aucune contrepartie financière pour le pays d’où vient l’espèce, ni pour la communauté indigène qui en connaît les propriétés. Idem pour les composés naturels tropicaux comme le curare, un poison utilisé par les chasseurs d’Amazonie sur les pointes de leurs flèches et dont les vertus anesthésiques sont exploitées par les labos américains Squibb et Glaxo.

Lors de leur première rencontre, en 2001, les pajés s’étaient dits opposés au brevetage de produits élaborés à partir des savoirs traditionnels. Plus aujourd’hui. Pragmatisme oblige, explique Daniel Munduruku, président de l’Institut indigène brésilien pour la propriété intellectuelle, coorganisateur de la rencontre. « Nous réclamons une répartition des bénéfices, y compris sur les produits déjà sur le marché et sur l’usage des ressources biologiques se trouvant sur nos terres, ressources que nous seuls pouvons exploiter (sauf le sous-sol), selon la Constitution. Mais nous revendiquons aussi le droit de refuser de partager nos ressources ou nos savoirs traditionnels. »

Contrats. Le ministère de l’Environnement a pris en compte une partie de ces revendications dans son projet de loi réglementant l’accès au patrimoine génétique national. Un conseil de gestion du patrimoine génétique a également été créé en 2001. Les contrats de répartition des bénéfices, récemment approuvés par ce conseil, sont jusqu’ici la seule protection des savoirs traditionnels. « C’est un début, admet Daniel Munduruku, mais nous voulons un régime juridique spécial, reconnaissant la propriété intellectuelle des communautés indigènes sur ces connaissances. Un tel régime instituerait la notion nouvelle de droits d’auteur collectifs, qui bénéficieraient à toute la communauté, ces savoirs n’étant pas détenus par une seule personne. Ce régime devrait être adopté par le Brésil mais aussi dans les accords internationaux de propriété intellectuelle. » Car toute mesure prise par le pays pour lutter contre la biopiraterie sera sans effet ou presque tant que la CDB ne s’appliquera pas à l’échelle internationale. Or les Etats-Unis, qui ont refusé de la ratifier, ne veulent pas en entendre parler. Les 350 000 Indiens du Brésil (0,3 % de la population) le savent mais, pour eux, la gauche, au pouvoir depuis un an et demi au Brésil, pourrait mieux faire.

Décevant. Ils lui demandent de hâter la reconnaissance des terres indigènes (12 % du territoire du pays) « car, sans la terre, nos savoirs se perdront ». Un dossier sur lequel le président Lula s’est montré jusqu’ici très décevant. Pourtant, les peuples indigènes jouent un rôle capital dans la protection de la forêt, selon un récent rapport de l’association Forest Trends.

Par Chantal RAYES, correspondante à São Paulo.

a lire aussi