Survie

Les Quinze en ordre dispersé sur la trace des OGM

Publié le 15 octobre 2002 - Survie

Libération, France, 15 octobre 2002.

L’absence d’accord sur la traçabilité et l’étiquetage rend impossible la levée immédiate du moratoire européen.

La Commission européenne devra patienter avant de lever son moratoire sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). Hier, les Etats membres et l’exécutif se sont empaillés sur l’art et la manière de « tracer » les OGM dans les aliments sans parvenir au moindre accord. Il paraît donc probable que David Byrne, le commissaire européen à la santé, n’annoncera rien du tout jeudi 17 octobre, contrairement à son souhait (Libération du 12 septembre).

Sans accord en bonne et due forme sur la traçabilité des OGM, pas de levée de moratoire possible, explique donc la France : « En 1998, quand nous avons décidé ce moratoire avec six autres pays européens (Danemark, Italie, Belgique, Luxembourg, Autriche et Grèce), c’était précisément pour avoir le temps de mettre en place les systèmes de traçabilité, au nom de l’information des consommateurs. Hier, nous avons tout juste commencé à travailler dessus. Nous verrons s’il y a lieu de lever plus tard le moratoire sur les OGM », explique un conseiller d’Hervé Gaymard, le ministre français de l’Agriculture. Visiblement pas très pressé d’aboutir.

Etiquetage. Volonté délibérée de la France et de quelques-uns de ses partenaires de faire traîner les choses ou pas, sur ce dossier hautement sensible, les discussions préalables menées hier à Luxembourg sur la traçabilité et l’étiquetage des OGM ont l’air d’être bien mal parties. Hier, les Quinze devaient se prononcer sur trois thèmes tournant autour de cet enjeu : faut-il s’occuper des OGM à l’échelle de l’Union ou faut-il laisser chaque pays décider ? Comment réagir en cas de « présence fortuite » d’OGM dans l’alimentation ? Quel seuil d’étiquetage faut-il rendre obligatoire ?

A la première question, la quasi-totalité des pays membres, sauf la Belgique et le Danemark, s’est prononcée pour la création d’une agence européenne. Qui reste à bâtir.

Sur la « présence fortuite » acceptable d’OGM dans un aliment, la présidence danoise de la Commission a proposé de tolérer pendant une période transitoire de trois ans un seuil de 1 % pour 13 nouveaux OGM ayant reçu l’avis favorable d’experts scientifiques mais qui n’ont pas encore été mis sur le marché.

La France a jugé cette proposition « raisonnable ». Pas l’Allemagne et la Grèce qui exigent un seuil « inférieur à 1 %» tandis que la Suède prône la « tolérance zéro ».

Enfin, les débats sur l’étiquetage des aliments contenant des OGM, sujet particulièrement sensible pour les consommateurs, ont donné lieu à une belle cacophonie. Le Royaume-Uni, l’Espagne, le Portugal et la Finlande sont d’accord pour accepter la proposition danoise d’étiqueter à partir de 1 % de présence d’OGM. La Suède et la France jouent la prudence en plaidant « pour un seuil inférieur à 1 %», comme le précisait hier l’entourage d’Hervé Gaymard. De leur côté, l’Autriche et l’Italie réclament l’étiquetage de produits dès qu’ils contiennent au moins 0,5 % d’OGM, ce qui est aussi la position du Parlement européen.

Pressions. Les Etats-Unis ne vont pas être contents. Ils espéraient très fortement que la Commission mette fin au moratoire sur les OGM, dont ils sont le principal fournisseur mondial avec la multinationale Monsanto. « Cela fait des semaines qu’ils font pression sur nous. Ils prétendent que le préjudice subi à cause du moratoire européen leur coûte 4 milliards de dollars par an », confirme un membre de la Commission. Qui reconnaît que les Américains ne font pas dans la dentelle : « Ils ne veulent entendre parler ni de seuil, ni d’étiquetage, ni de traçabilité ». Ils pourraient bien réclamer des sanctions contre Bruxelles devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans les mois qui viennent.

Par Frédéric PONS

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