Survie

Accès aux médicaments : l’OMS livre la vérité sur les prix

Son rapport doit aider les pays du Sud à payer moins cher.

Publié le 21 mai 2003 - Sissulu Mandjou Sory

Libération, France, 21 mai 2003.

Le constat est sans ambiguïté : le prix des médicaments dans les pays pauvres peut baisser. Drastiquement. Avec la publication hier de son rapport Medecine Prices, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le prouve. L’objet, présenté en marge de l’assemblée générale annuelle de l’institution, vise à mettre en lumière les incohérences de tarifs sur les médicaments essentiels, source d’inégalités dans l’accès aux traitements pour les pays les plus pauvres. Et, surtout, à fournir les outils pour faire baisser les prix, en détaillant ce qui, dans le coût d’un traitement, relève de la responsabilité du fabricant ou de l’Etat. « C’est une bombe », résume German Velasquez, promoteur du dossier « accès aux médicaments » à l’OMS, « qui prouve que la question des brevets, qui coince toujours à l’OMC (Organisation mondiale du commerce), n’est pas le seul motif de blocage de l’accès aux médicaments. »

Lobbies. La sortie d’un tel rapport s’est faite au forceps. « Depuis dix ans, on a tenté de bosser là-dessus, assure un des experts. On s’est sans cesse heurté aux lobbies des labos et de certains Etats qui juraient que ce genre d’étude coûte cher. » Les ONG, qui n’ont jamais manqué de fustiger les lenteurs de l’OMS, saluent l’initiative. Ce manuel est un « outil de transparence devant permettre de faire pression », à la fois sur les gouvernements et les laboratoires pharmaceutiques, assure Bernard Pécoul, coordinateur de la campagne d’accès aux médicaments essentiels de Médecins sans frontières.

Que montre ce rapport ? Qu’il existe un nombre important d’écarts de prix résultant des politiques tarifaires des laboratoires, mais aussi des marges prélevées par le système de distribution ou des politiques de santé engagées par les différents pays. « Il n’est pas rare pour les habitants des pays en développement d’acheter des médicaments plus cher que dans les pays industrialisés », relève le rapport. Exemple : en 2000, la lamivudine, utilisée dans la prise en charge du sida, était vendue en moyenne 20 % plus cher en Afrique que dans dix pays industrialisés. Les écarts sont parfois tout aussi importants entre pays à niveau de vie comparable : la nifédipine (un antihypertenseur) est ainsi vendue six fois plus cher en Afrique du Sud qu’au Brésil.

Même si « une partie importante de ces écarts provient du fabricant », selon Carmen Perez, de MSF, les tarifs des laboratoires ne sont pas seuls en cause. Les politiques locales ont aussi un impact sur le coût final, comme au Pérou où les taxes, les marges des grossistes et des distributeurs font passer le prix de la ranitidine (traitement de l’ulcère) de 2,90 dollars à l’importation à 7,20 dollars au détail. Soit près de 150 % de majoration. Même tendance au Brésil, où les taxes et les marges pratiquées font grimper le prix sortie d’usine de 40 %.

« Voir plus clair ». Le rapport de l’OMS se veut bien plus qu’un relevé de prix ponctuels. Il fournit surtout une méthode fiable à destination des ONG et gouvernements pour établir leurs propres comparaisons précises. Et y puiser les axes d’une politique efficace - que ce soit en faisant pression sur les laboratoires, en baissant les taxes ou en favorisant les médicaments génériques.

Cette reconnaissance de la diversité des leviers à actionner pour faire baisser les prix satisfait d’ores et déjà l’industrie pharmaceutique, souvent accusée d’être la principale responsable de la situation. « Que l’OMS essaie de mettre en place des outils pour mieux comprendre les prix et y voir plus clair, cela me semble aller dans le bon sens, indique Jean-François Chambon, porte-parole de GlakoSmithKline France. On ne peut pas se contenter de constater qu’un fabricant indien de génériques peut fournir une molécule moins chère qu’un laboratoire. »

Par Christian LOSSON et Florent LATRIVE

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