Survie

Le laboratoire Merck souffre d’une inflammation de procès

Premier verdict défavorable contre le Vioxx, objet de 4200 autres plaintes.

Publié le 22 août 2005 - Lounis Aggoun

Libération, France, 22 août 2005.

Merck pourrait à son tour être la victime de son médicament anti-inflammatoire vedette, le Vioxx. A défaut d’y laisser sa peau, le groupe pharmaceutique américain risque en tout cas d’y laisser beaucoup d’argent. Vendredi, le tribunal fédéral d’Angleton, au sud de Houston (Texas), a condamné le laboratoire à verser plus de 253 millions de dollars (210 millions d’euros) à la veuve d’un homme qui avait pris son anti-inflammatoire. Le groupe, qui a immédiatement fait appel, a laissé entendre que même en cas de défaite le montant des versements ne devrait pas dépasser 2 millions de dollars (1,65 million d’euros), conformément à la loi texane. Mais, au terme d’une procédure de six semaines, ce premier verdict défavorable est une très mauvaise nouvelle pour Merck. En effet, plus de 4 200 plaintes, dont 3 800 aux Etats-Unis, ont déjà été déposées contre l’industriel depuis le retrait du marché de son anti-inflammatoire à l’automne dernier.

Révolution. Le Vioxx, qui a été utilisé par des millions de personnes dans le monde, est aujourd’hui l’objet de centaines de procédures en Europe, mais également au Canada, en Israël, au Brésil ou en Australie. Un avocat australien, Richard Meeran, annonçait samedi qu’il porterait plainte au nom d’une centaine de personnes, qui soutiennent avoir eu des problèmes cardio-vasculaires après un traitement au Vioxx. En Grande-Bretagne, 150 personnes s’apprêtent à faire de même, représentées par des cabinets d’avocats de Londres et Liverpool. Dans l’affaire jugée au Texas, Robert Ernst, sportif accompli qui participait régulièrement à des triathlons, est mort en mai 2001, à 59 ans, après avoir suivi sa prescription de Vioxx durant huit mois pour des douleurs articulaires.

Lancé en fanfare en 1999 aux Etats-Unis (et en 2000 en France), le Vioxx est à l’époque présenté comme une révolution dans le domaine des anti-inflammatoires : il est utilisé notamment pour lutter contre l’arthrose ou d’autres maladies rhumatismales. Cette classe de médicaments a un effet secondaire bien connu : l’agression de l’estomac, pouvant aller jusqu’aux ulcères. Avec le rofécoxib (nom générique du Vioxx), le problème semble enfin résolu. Succès commercial immédiat. Seul le Celebrex, molécule concurrente du leader Pfizer, qui promet aussi l’absence d’effet secondaire, le surpasse alors. En 2003, le Vioxx est au dixième rang des remboursements d’assurance maladie en France : près de 125 millions d’euros. Le Vioxx est reconnu par le monde médical comme une vraie innovation thérapeutique, mais son succès tient aussi à une gigantesque campagne commerciale. En mars 2000, à l’occasion de la mise en vente de son nouveau produit en France, Merck avait rassemblé le gotha de la rhumatologie au palais des congrès à Paris pour une opération de persuasion sur ses bienfaits.

Pourtant, peu à peu, des dangers cardio-vasculaires lui sont attribués. Dès août 2001, une analyse de l’Association médicale américaine montre un risque doublé d’accident cardio-vasculaire grave, par rapport à un autre anti-inflammatoire. Publiée en début d’année dans la revue médicale The Lancet, une étude de la Food and Drug Administration, l’agence américaine des médicaments, estime que le Vioxx pourrait être responsable aux Etats-Unis de 88 000 à 140 000 cas de complications cardiaques.

Fragilisé. Le 30 septembre 2004, après trois ans d’études, Merck annonce lui-même le retrait du Vioxx. A la suite de cette annonce, l’action chute de 26 % en une seule journée. Merck, qui avait pris la place de l’anglais GlaxoSmithKline au troisième rang dans le palmarès des plus labos en 2003, est aujourd’hui extrêmement fragilisé. L’abandon du Vioxx lui a déjà fait perdre près de 10 % de son chiffre d’affaires : le médicament lui avait rapporté 2,5 milliards de dollars en 2003. En panne d’innovation comme la plupart des laboratoires, Merck va perdre dans quelques mois une autre vache à lait, l’anticholestérol Zocor, qui doit entrer dans le domaine public et va donc pouvoir être copié librement. Vendredi, à Wall Street, l’annonce du jugement faisait chuter l’action Merck de 7,3 %.

Par Jean-Paul ROUSSET


Précédents scandales

Le laboratoire pharmaceutique Merck, troisième mondial, a réalisé en 2004 un chiffre d’affaires de 22,9 milliards de dollars et un résultat net de 5,8 milliards de dollars.

Le retrait du Vioxx en septembre 2004 est une mesure exceptionnelle, mais n’est pas une première. En août 2001, le groupe Bayer avait retiré de la vente son anticholestérol vedette, le Staltor (cérivastatine), dont des effets secondaires avaient été suivis de décès.

Après plusieurs scandales (antidépresseur Paxil de Glaxo, anti-inflammatoires Vioxx ou Celebrex), la Food and Drug Administration, l’agence américaine des médicaments, a prévu d’ouvrir un bureau indépendant pour surveiller les effets des médicaments après leur commercialisation.

© Libération


Merck condamné pour son médicament-vedette

Extraits tirés du Figaro, France, 22 août 2005.

V. C.

Après avoir rapporté beaucoup d’argent au Merck, le Vioxx, son médicament vedette, pourrait lui coûter cher. (...)

Le défenseur de la plaignante a estimé que le laboratoire s’était comporté de manière « indicible et abominable en vendant du Vioxx plusieurs mois après avoir découvert que le médicament pouvait provoquer des problèmes de santé ».

Le Vioxx, lancé en 1999, était l’un de ses blockbusters. Il réalise à lui seul 2,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires par an, soit plus de 10% de son activité. Merck, qui a déjà provisionné 675 millions de dollars pour les frais de justice, devra revoir sa facture à la hausse.

Selon les analystes, le coût total de ces procédures pourrait atteindre plusieurs dizaines de milliards de dollars. Le Vioxx était utilisé par vingt millions de personnes dans le monde et d’après une étude américaine, il aurait pu causer la mort de 27 785 personnes.

Pourtant, il y a six mois, l’autorité américaine de réglementation des médicaments, la Food and Drug Administration (FDA), encourageait la commercialisation de médicaments de la même famille que le Vioxx, notamment le Celebrex et le Bextra formulés par Pfizer, en dépit des risques cardiaques qu’ils peuvent présenter. Cet avis positif de la FDA avait soulagé Merck et Pfizer, mais aussi Sanofi-Aventis, Novartis et GlaxoSmithKline qui préparent des médicaments analogues. Plutôt que d’interdire ces anti-inflammatoires, la FDA préconisait que les laboratoires mettent en garde les médecins.

© Lefigaro

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