Survie

Extraits du débat des sénateurs Français autour du RIF (registre international français)

Publié le 12 février 2005 - Victor Sègre

(...)

M. de RICHEMONT, rapporteur de la commission des affaires économiques (rapport 92)

A la fin de l’année dernière, le Premier ministre m’a confié une mission sur le pavillon français et le cabotage. Pendant six mois, j’ai écouté et voyagé et j’ai fait le constat que la France a perdu, depuis 1962, l’essentiel de sa flotte de commerce ; elle est aujourd’hui au vingt-neuvième rang mondial. Des pavillons de complaisance se sont développés et le dépavillonnement a touché tous les Etats européens. Certains d’entre eux ont réagi dès 1987, Norvège, Danemark, en créant un registre bis, suivis plus tard par l’Italie, l’Allemagne et la Belgique. Il s’est agi de soutenir la flotte par une défiscalisation du salaire des marins et prévoir que seul le commandant soit de la nationalité du pavillon.

Grâce à ces mesures, le Danemark a rapatrié 62 % de ses navires et le nombre de ses navigants a augmenté de 35 % -dans la réalité 70 % des marins à bord des navires danois sont danois. L’exemple belge est encore plus parlant : son deuxième registre, créé l’an dernier, a permis de récupérer cinquante navires après qu’elle les eut tous perdus au profit du Luxembourg, une grande puissance maritime ! (Sourires)

La question est fondamentale. On ne peut être contre les pavillons de complaisance si on ne fait rien pour rendre son pavillon attractif [NDLR : si vous êtes contre les pavillons de complaisance, devenez un pavillon de complaisance !]. C’est pourquoi nous avions créé le système des TAAF en 1987, annulé en Conseil d’Etat puis recréé sous une autre forme par la loi de 1996. Mais cette loi renvoyait à un décret d’application qui n’a jamais été pris. Le registre Kerguelen n’a pas eu les effets escomptés. En outre, il renvoyait à un « code du travail d’outre-mer » qui n’existait pas et les marins étrangers ne bénéficieraient dès lors d’aucune protection juridique !

Le registre Kerguelen n’était en outre pas communautaire ; il reposait sur deux artifices, le GIE fiscal et l’obligation spécifique datant de 1992, faite aux compagnies pétrolières -que celles-ci ont facilement tournée.

Le registre Kerguelen est en définitive 35 % plus cher que les autres registres européens, et le moins attractif.

Dans mon rapport, j’indiquais que la France devait faire mieux que ces partenaires et créer un deuxième registre destiné spécifiquement aux navires de commerce au long cours, aux navires de croisière et aux grands yachts de plaisance. J’ai donc déposé une proposition de loi, dont le but est de rapatrier des navires sous pavillon français (...)

Le registre est en outre conforme au droit européen. A bord de navires immatriculés au RIF, seul le commandant et son substitué seront français, ce qui respecte les décisions de la Cour de justice des communautés ; leur rôle est précisé dans la proposition de loi. Aller au-delà serait contreproductif.

Le registre est également conforme aux normes de l’OIT. Je remercie le Gouvernement d’avoir demandé au Parlement de ratifier la convention de l’OIT de 1996 ; la proposition de loi se réfère totalement à celle-ci. Aujourd’hui, aucune réglementation n’est applicable aux entreprises de travail maritimes.

Le registre est enfin social : j’ai à coeur le sort des marins étrangers. En cas de défaillance, l’armateur se substituera à l’entreprise de travail maritime. Le code du travail français, les conventions collectives subsisteront. Je prévois aussi, conformément à la Convention de Rome et au registre allemand, que ce sera la loi du contrat qui s’appliquera.

Je substitue ainsi au vide juridique actuel un statut et une protection sociale des marins étrangers. Des normes de salaire sont en particulier proposées ; ce sont celles de la fédération internationale des travailleurs des transports (ITF), à laquelle la CFDT entre autres adhère.

Avec ce texte, la France retrouvera son rang ! (Applaudissements au centre et à droite)

(...)

M. LE CAM

La France ne se grandira pas avec cette proposition de loi, en acceptant la dérive libérale et la régression sociale au nom de la déflation compétitive. Elle baisse les bras, alors qu’elle avait su dans le passé faire valoir que le social n’était pas une variable d’ajustement. Le gouvernement précédent s’était battu contre le dumping social au niveau européen et avait tiré les normes vers le haut.

Cette proposition de loi va à l’inverse de cette démarche : c’est un véritable recul qui rend caduc notre droit du travail et bafoue les conventions collectives. Les normes seront a minima et largement en deçà de notre législation. Les contrats d’embarquement pourront être portés à neuf mois, dans des conditions qui font fi des rapports de force qui existent sur les navires. Revient-on à la situation d’il y a 40 ans ? La nature des contrats n’est en outre pas définie, et la précarité devient permanente. Quid du réembarquement après maladie ou des congés payés ? Quid des rémunérations, alignées sur les normes internationales minimales ? C’est ouvrir la voie à une réduction des coûts dans toute la chaîne du transport. On comprend les inquiétudes des marins français, notamment pour leurs retraites, avec l’accroissement du nombre de marins étrangers. Les postes, autres que ceux d’officiers, semblent condamnés, et avec eux la formation. Les armateurs se sont engagés à maintenir la filière française, mais l’exemple norvégien ne peut nous rassurer. Le coût du marin français est aussi un élément clé de la sécurité, ne l’oublions pas.

J’ajoute que les armateurs bénéficient déjà d’avantages considérables, et sont déliés de nombre de leurs responsabilités. Les entreprises de travail maritime se substitueront-elles à eux ? C’est peu probable...

Le renforcement des normes internationales ? Mais la France elle-même déréglemente ; et à quel prix, si elle venait à attirer des voyous de la mer ! En outre, le champ d’application de la loi pourrait inclure le cabotage international, par exemple une liaison Marseille-Tunis ...avec escale à Bastia ...

Notre groupe s’oppose à un texte qui banalise des pratiques d’un autre siècle. Nous sommes au côté des marins en grève aujourd’hui. Pour nous, ce texte est non amendable. Nous ne participerons pas à son examen, et nous voterons contre.

M. SERGENT

Chacun en convient : traiter au Parlement d’un sujet maritime est exceptionnel. Le constat est douloureux et surprenant : la France a oublié sa vocation maritime, et sa flotte ne peut plus concurrencer les grandes nations maritimes. Mais je veux encore croire à une économie maritime, vitale pour notre pays et nos régions.

Il faut certes permettre à nos armateurs de renforcer leur activité, défendre la profession de marin, un métier dur et risqué, isolé, solidaire. Il faut aussi construire un cadre novateur, dynamique et juste. Je me réjouis que le texte ait été enrichi et modifié -mais insuffisamment. Son habillage social n’est en effet que de pure forme. Aucune négociation n’a été engagée : quid des conditions sociales et des conditions de travail ? C’est bien la logique du moindre coût et de la rentabilité qui prévaut. Deux officiers français seulement : on verra bien sûr des officiers fantômes, et la loi sera respectée ...

La France doit se doter d’un instrument lui permettant d’avoir une flotte compétitive, mais dans l’équité sociale. Nous en sommes loin, très loin ! Ce n’est pas en organisant la régression sociale que la France améliorera son rang et pourra peser sur la scène internationale. Le scandale, c’est que la France ne manque pas de marins qualifiés : et les employeurs iraient chercher ailleurs une main d’oeuvre sous-qualifiée ? Accepterait-on pareille situation dans d’autres secteurs économiques ? Bien sûr que non !

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