Survie

Un pavillon encore plus complaisant ?

Publié le février 2004 - Survie

Extraits tirés d’Alternatives Economiques, France, février 2004.

"Nous ne voulons pas d’un pavillon de complaisance à la française." Après deux grèves en décembre et en janvier, les syndicats de marins et d’officiers vont appeler à une nouvelle mobilisation pendant le débat à l’Assemblée nationale, prévu en février, sur la proposition de loi du sénateur Henri de Richemont. (...) Ce texte vise à créer un registre international français (RIF). Les bateaux de commerce immatriculés dans ce registre auront droit de battre pavillon français. (...) [Certains] pavillons de complaisance offrent la liberté d’engager uniquement des navigants étrangers, en plus d’une fiscalité avantageuse, de contrôles moins tatillons etc.

Pour tenter de redonner des couleurs à son pavillon, l’Etat français avait déjà créé en 1987 un registre plus souple : les navires de commerce et de pêche dits "Kerguelen" ont le droit de n’embarquer que 35 % de navigants français [1] (...)

Sur les bâtiments RIF, seuls le capitaine et son second devront être Français. Le reste de l’équipage pourra être composé d’étrangers et, surtout, leurs contrats seront soumis à la loi de leur lieu de résidence ou de celui des sociétés dites de manning qui les embauchent pour les mettre à la disposition de l’armateur. Quant aux navigants français, ils bénéficieront d’une exonération totale de l’impôt sur le revenu. (...)

Au-delà, François Lille, le président de l’association Biens publics à l’échelle mondiale (BPEM), s’inquiète des "attaques gravissimes contre le droit du travail, le droit syndical et le droit de la sécurité sociale" contenues dans le projet de loi. "Le texte va légaliser le recours aux sociétés de manning qui sont des marchands de main-d’oeuvre, ajoute-t-il. Il va également consacrer la discrimination en fonction du lieu de résidence des marins. Les brèches créées dans notre droit risquent d’être exploitées par d’autres secteurs."

Ces pratiques avaient cependant déjà cours sur les navires Kerguelen. Au contraire, le RIF pourrait même améliorer un peu le sort des marins étrangers. Alors que le registre Kerguelen est muet sur leur régime juridique, le RIF précise que les conditions d’emploi, de travail et de rémunération doivent respecter les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) et du Bureau international du travail (BIT). (...) Le texte de loi n’aligne cependant pas ses exigences sociales minimales sur celles établies par l’accord intervenu en janvier 2001 entre l’ITF, la Fédération internationale des ouvriers du transport, et l’IMEC, celle des employeurs maritimes (la première véritable convention collective mondiale), à l’exception de la couverture sociale.

Le projet de loi pèche également du côté du régime juridique des officiers. Certes, le sénateur de Richemont assure que le code du travail maritime leur sera applicable, ainsi que les conventions collectives nationales de la marine marchande, mais ces dispositions ne sont pas inscrites dans le texte. Rien non plus sur la titularisation du marin, qui semble lié par un contrat à durée déterminée renouvelable, ou sur la participation de ces officiers aux élections du comité d’entreprise, etc.

"Font-ils encore partie de l’entreprise d’armement maritime ?", s’inquiète Patrick Chaumette, professeur de droit à l’université de Nantes, qui s’interroge également sur la portée symbolique de ce texte : "Cette proposition de loi pose le moins d’exigences possibles et renvoie tout le reste au bon vouloir des armateurs et à la négociation avec les syndicats. S’agit-il d’un laboratoire de la refondation sociale prônée par le MEDEF ?"

Par Frank Seuret.

[1Le décret fixant la norme de 35 % a été annulé par le Conseil d’Etat en 1995. Mais, dans les faits, ce quota continue à s’appliquer.

a lire aussi