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14 juillet 2011 : les armées défilent à Paris, les ministres défilent en Afrique

Publié le 13 juillet 2011 - Survie

Le 14 juillet 2010, la France célébrait cyniquement le cinquantenaire des indépendances africaines en faisant défiler sur les Champs Élysées les troupes de différentes dictatures que les gouvernements successifs ont soutenues. Cette année, ce sont les soldats français d’outremer ou engagés dans les opérations extérieures qui sont à l’honneur. Dans le même temps, quatre ministres entament une tournée en Afrique qui leur permettra de passer en revue les juteux contrats ivoiriens et de prouver une nouvelle fois l’indéfectible soutien français à la dictature gabonaise.

Les militaires français en Côte d’Ivoire se sont illustrés en intervenant spectaculairement lors des assauts ayant conduit à la chute de Laurent Gbagbo, mais sans œuvrer aucunement pour la paix et le respect des droits humains, raisons d’être du mandat confié par l’ONU. En 2004, l’armée française avait déjà ouvert le feu sur une foule désarmée, faisant de nombreuses victimes et compromettant à jamais son positionnement comme force de paix crédible. L’association Survie demande depuis des années le retrait de la force Licorne. Alors que le président Sarkozy a affirmé récemment que la France garderait «  toujours une présence militaire en Côte d’Ivoire  » il est nécessaire qu’une commission d’enquête parlementaire étudie le rôle joué par la force Licorne depuis près de 10 ans. Survie soutient donc la demande faite en ce sens à l’initiative du député Patrick Braouezec à l’Assemblée Nationale ce mardi 12 juillet.

Ce même jour, le parlement français votait la poursuite de l’opération française en Libye, conformément à la Constitution qui requiert désormais cet aval parlementaire passés les quatre mois d’une opération extérieure. Survie réaffirme, d’une part, la nécessité d’un contrôle parlementaire complet sur l’action militaire de la France, aujourd’hui encore le domaine réservé de l’Élysée, et, d’autre part, enjoint aux députés français de s’opposer à l’interventionnisme militaire outrancier mené par Nicolas Sarkozy. En Afrique, depuis le début de l’année 2011, l’armée française est intervenue en Côte d’Ivoire, en Libye et dans plusieurs opérations dans le Sahel, officiellement remilitarisé sous le prétexte de la lutte anti-terroriste, ce qui lui assure opportunément un meilleur contrôle des matières premières.

C’est d’ailleurs manifestement ce qui pousse plusieurs ministres français à un autre défilé, cette fois dans des pays africains, du 14 au 17 juillet. En effet, c’est en compagnie de nombreux patrons de grandes entreprises françaises (Alstom, Rougier, BNP Paribas, Touton, Cémoi, Bolloré Africa Logistics, NCT/Necotrans, les pétroliers Total, Lafon et Technip, accompagnés du MEDEF et du CIAN [1]) que François Fillon, Henri de Raincourt, Pierre Lellouche et David Douillet se rendront en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Gabon.

En Côte d’Ivoire, il s’agira de renforcer encore davantage l’assise des entreprises françaises et de finaliser la mise en place des crédits bonifiés et mécanismes de garantie de l’Agence française de développement destinés au soutien du secteur privé, comme annoncé par Nicolas Sarkozy lors de son discours à Port-Bouët le 21 mai dernier.

Concernant le Gabon, il est inadmissible que l’exécutif français reste, malgré les développements judiciaires de l’affaire des « Biens Mal Acquis », le principal mentor d’un «  pouvoir mal acquis » et en mal de légitimité, pas plus fréquentable que celui de Ben Ali en Tunisie. Le gouvernement français devrait s’inquiéter du malaise ressenti à la Maison Blanche lors de la visite de son protégé gabonais le 9 juin [2]... Mais en France, cette non-remise en question du régime gabonais s’explique notamment par la longue histoire des financements des partis politiques transitant par le Gabon, comme l’a illustré l’affaire Elf. Plus récemment un télégramme de la diplomatie américaine publié en janvier 2011 par Wikileaks [3] évoquait le possible détournement de près de 28 millions d’euros de la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) au bénéfice du clan Bongo et des partis politiques français. D’après ce câble, 500 millions d’euros auraient par ailleurs été placés à la Société Générale, une aubaine pour renflouer les pertes liées à l’affaire Kerviel, selon un cadre de la BEAC.

A quelques mois des législatives au Gabon, Survie demande au pouvoir exécutif français d’effectuer enfin un véritable changement dans sa politique en soutenant les démocrates et les sociétés civiles africaines dans leurs efforts pour la protection des droits humains et l’établissement de la démocratie.

A l’occasion de cette «  fête nationale  », l’exécutif français n’est donc pas avare en symboles : tandis qu’il rend hommage aux troupes néocoloniales, patrons et ministres s’en vont festoyer avec le nouvel ami ivoirien et le clan Bongo. Les peuples africains, eux, sont comme d’habitude tenus à l’écart du banquet et mis au garde à vous par des pouvoirs armés et soutenus par la France.

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