Survie

Entreprises : la majorité défend le business, quel qu’en soit le prix

Publié le 27 janvier 2015

Communiqué Survie – 27 janvier 2015

A l’occasion de l’examen de la « loi Macron » et de la proposition de loi sur le devoir de vigilance au sein des multinationales, l’association Survie dénonce la volonté du gouvernement et des parlementaires de la majorité d’enterrer toute initiative visant à encadrer juridiquement l’activité des entreprises françaises à l’étranger, tandis qu’ils cherchent à sacraliser le droit des affaires.

En pleine offensive du gouvernement sur les droits sociaux dans le projet de loi Macron « pour la croissance et l’activité », l’examen en première lecture de la proposition de loi « relative au devoir de vigilance des sociétés-mères et des entreprises donneuses d’ordre », déposée en 2013 par les députés Philippe Noguès (PS), Dominique Potier (PS) et Danielle Auroi (EELV), pourrait presque passer inaperçu. Bien que déposé par les quatre groupes parlementaires de gauche, ce texte, qui répond à une demande portée de longue date par la société civile (notamment les associations et syndicats membres du Forum citoyen pour la Responsabilité Sociale des Entreprises), vient de subir un premier enterrement lors de son examen par la Commission des Lois, mercredi 21 janvier.

Le Parti socialiste s’accorde désormais avec l’UMP pour refuser d’introduire dans le droit français une remontée possible de la responsabilité vers le siège français des firmes en cas de dommages graves provoqués par leurs filiales et sous-traitants dans d’autres pays. Cela permet à certaines multinationales françaises de continuer, en toute impunité, à mener des politiques de saccage social et environnemental dans les pays pauvres en général et dans les dictatures en particulier. Dénonçant pêle-mêle une asphyxie des entreprises françaises et une suspicion permanente à leur encontre en dépit de leurs engagements prétendument exemplaires en matière de responsabilité sociale et environnementale, des députés de la majorité comme de l’opposition ont prétexté une « inversion de la charge de la preuve » et l’instauration d’une « présomption quasi-irréfragable de responsabilité » pour expliquer que leurs groupes voteraient contre ce texte, qui n’a aucune chance de passer si les députés socialistes suivent la consigne de vote de leur groupe… Refusant de « pénaliser nos entreprises », qui auraient besoin d’une « pause », ces députés n’ont ainsi pas manqué d’instrumentaliser les PME au profit des groupes transnationaux et de reprendre à leur compte l’argutie juridique bancale avancée par les lobbies qui les entoure.

Cette position est en tout cas celle qui met Total à l’abri de toute mise en cause pour le saccage environnemental constaté au Nigeria [1], préserve les familles Bolloré et Vilgrain des scandales récurrents dans les exploitations agro-industrielles du Cameroun [2] et garantit à Areva de n’être jamais inquiétée pour la contamination radioactive des sols, de l’eau et des populations de la région d’Arlit au nord du Niger [3].

L’« inversion de la charge de la preuve », en réalité partielle, cible l’objectif de cette loi : la nécessité pour l’entreprise de montrer qu’elle a mis en place les procédures suffisantes pour éviter que ses filiales ou sous-traitants entraînent des dommages environnementaux ou sociaux en France et à l’étranger (notamment dans les pays où un système judiciaire fragile, si fréquent dans le pré-carré françafricain, ne protège pas la population), mais seulement lorsque des victimes de ces dommages arrivent à montrer un lien de causalité entre le dommage et le manquement à l’obligation de vigilance.

Cela ne serait en outre pas une première, puisqu’en France, la loi Fauchon de 2000 sur les délits non intentionnels a déjà produit un tel renversement partiel de la charge de la preuve, les dirigeants d’entreprise devant désormais prouver qu’ils avaient tout fait en amont pour éviter un accident au sein de leur société.

Quant à la « présomption quasi-irréfragable de responsabilité », c’est une accusation qui laisse entendre que les multinationales françaises seraient incapables de prouver le bien-fondé de leurs généreuses déclarations en matière de respect des droits humains et de l’environnement à l’étranger dans leurs filiales et chez leurs sous-traitants. C’est en réalité le cœur du problème : dépasser enfin les discours de bonnes intentions et sanctionner l’absence totale de contrôle, pour faire en sorte que ce qui ne serait pas acceptable chez nous ne soit pas plus acceptable ailleurs – notamment dans les pays où le pillage est historiquement le plus agressif. Mais les députés, à l’UMP et au PS, semblent plus soucieux de la compétitivité des entreprises françaises, quel qu’en soit le coût social. La liberté d’informer pourrait d’ailleurs être à ce prix : parallèlement au débat sur cette proposition de loi, l’Article 64 ter du projet de loi Macron s’apprête en effet à sacraliser le "secret des affaires", et à criminaliser ainsi davantage les lanceurs d’alerte, au lieu de leur offrir la protection réclamée depuis des années par la société civile, notamment les organisations membres de la plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires [3]. L’enjeu est pourtant de permettre aux personnes ayant connaissance de scandales de les révéler, dans l’intérêt général. Un intérêt bien loin de celui des multinationales, et dont les députés de la majorité devraient se ressaisir de toute urgence.

L’association Survie appelle les députés à voter pour la proposition de loi portée par Dominique Potier, Danielle Auroi et Philippe Noguès ainsi que les amendements visant à contrebalancer le « secret des affaires » par une protection des lanceurs d’alerte, tels que ceux proposés par EELV et les socialistes Valérie Rabault et Karine Berger.

[1] voir Xavier Montanyà, L’Or noir du Nigeria - Pillages, ravages écologiques et résistances, Dossier Noir n°25, éd. Agone-Survie, 2012

[2] voir Alice Primo, « Bolloré-Vilgrain : la terre, la sueur et le sang », Billets d’Afrique n°198, janvier 2011 (http://survie.org/billets-d-afrique/2011/198-janvier-2011/article/bollore-vilgrain-la-terre-la-sueur )
[2] voir Raphaël Granvaud, Areva en Afrique - Une face cachée du nucléaire français, Dossier Noir n°24, éd. Agone-Survie, 2015 (réédition)

[3] Sur la nécessité de protéger les lanceurs d’alerte, voir la table ronde « Lanceurs d’alerte, révélateurs des failles du système » organisée dans le cadre du colloque de la plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires le 20 juin 2014 : http://www.stopparadisfiscaux.fr/colloques/article/colloque-2014-banques-remparts-ou

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