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Opération Barkhane : le prolongement de l’opération Serval en violation de la Constitution

Publié le 12 janvier 2015 - Survie

En respect de la Constitution, ce 13 janvier, l’Assemblée nationale se prononcera par vote sur la prolongation de l’intervention française en Irak débutée en septembre dernier. A l’inverse, l’opération « Barkhane », déclenchée le 1er août 2014 pour prendre la suite de l’opération Serval au Mali se poursuit actuellement, sans que sa prolongation n’ait été votée par le Parlement, donc en violation de la Constitution. Survie dénonce le « deux poids, deux mesures » en matière de politique extérieure de la France et appelle les parlementaires à réagir.

Communiqué de presse 12 janvier 2015

Le 11 janvier 2013, François Hollande annonçait le déclenchement de l’opération militaire Serval au Mali. Lors du débat au Parlement du 16 janvier 2013, nécessaire en vertu de l’article 35 de la Constitution (1), le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, annonçait trois buts à cette opération : « Le premier objectif est d’arrêter l’avancée des groupes terroristes vers Bamako. Le deuxième consiste à préserver l’existence de l’État malien et à lui permettre de recouvrer son intégrité territoriale. Le troisième est de favoriser l’application des résolutions internationales à travers le déploiement de la force africaine de stabilisation et l’appui aux forces armées maliennes dans leur reconquête du Nord. » (2)

L’histoire a montré que si l’armée française a effectivement arrêté l’avancée des groupes armés en direction de Sévaré (3) et permis le déploiement d’une force africaine puis onusienne, elle n’a pas permis à l’Etat malien de recouvrer son intégrité territoriale : elle a laissé la ville de Kidal, au nord du Mali, devenir un sanctuaire pour le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA), le groupe armé qui avait déclenché la crise.

En juillet 2014, les autorités françaises annonçaient la fin de Serval (4), remplacée par l’opération Barkhane depuis le 1er août 2014. Celle-ci couvre cinq pays africains : la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso (base des forces spéciales françaises), le Niger (base des drones français) et le Tchad (Barkhane remplaçant également l’opération Epervier, en place depuis… 1986) et mobilise plus de 3000 militaires. Elle s’est déjà traduite par des opérations armées (frappes aériennes) menées au-delà du territoire malien (au Niger en septembre et octobre). Selon le gouvernement français, il s’agit d’un dispositif visant à lutter contre le terrorisme dans la zone sahélienne. Mais cet objectif n’a jamais été présenté formellement à la représentation nationale, qui n’a pas pu en débattre, comme l’exige pourtant l’article 35 susmentionné (5) :

  • aucun débat n’a eu lieu au Parlement dans les jours suivants, et l’information n’a eu lieu que par voie de presse ;
  • aucune demande de prolongation n’a été présentée devant le parlement par l’exécutif au bout de 4 mois d’intervention ni depuis.

Ces deux omissions de l’exécutif, sûr de son bon droit lorsqu’il décide d’intervenir militairement en Afrique, constituent des violations flagrantes de la Constitution.

L’association Survie, qui décrypte régulièrement les enjeux et zones d’ombre des opérations extérieures françaises (6), appelle les députés et sénateurs à exiger le respect de la Constitution et à se saisir enfin de leur rôle de contrôle du gouvernement concernant cette opération extérieure, et plus largement concernant la présence militaire française en Afrique.

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Ressources

1 : L’article 35 de la Constitution stipule que « Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote. » http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071194&idArticle=LEGIARTI000006527506&dateTexte=&categorieLien=cid

2 : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2012-2013/20130107.asp#P42_1296

3 : A ce jour, en dépit des annonces officielles, rien n’est venu corroborer l’hypothèse d’une descente des groupes armés vers Bamako. Au contraire, tout semble indiquer que leur objectif était l’aéroport de Sévaré, proche de Mopti, qui devait prochainement servir au déploiement d’une force de reconquête du nord du pays (lire Françafrique : la famille recomposée, pp. 103-108).

4 : Le remplacement de l’opération Serval http://www.lemonde.fr/afrique/article/2014/07/13/l-operation-serval-remplacee-par-une-operation-antiterroriste_4456261_3212.html

5 : Comme on peut le constater sur le site de l’Assemblée nationale, il n’y a eu aucune séance du 1er au 3 août, date limite pour que le débat soit inscrit à l’ordre du jour http://www.assemblee-nationale.fr/14/debats/index.asp#20132014 Les vacances parlementaires ne peuvent pas être invoquées en excuse : la commission de la Défense et celle des Affaires Etrangères ont siégé durant cette période. Il s’agissait de débattre de l’intervention française en Irak : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cdef/13-14/c1314064.asp#P3_69

6 : Sur l’opération Serval : La France en guerre au Mali, enjeux et zones d’ombre, éditions Tribord, août 2013. Sur l’opération Barkhane : Raphaël Granvaud, « La France réorganise ses troupes en Afrique », in Billets d’Afrique n°238, septembre 2014. Sur l’armée française en Afrique : Raphaël Granvaud, «  Présence militaire française : le retour aux fondamentaux ?  », in Françafrique : la famille recomposée, Syllepse, 2014, pp. 81-152.

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