Survie

Élection présidentielle au Burkina Faso : une victoire sans péril pour la Françafrique !

Publié le 8 novembre 2005 - Sissulu Mandjou Sory

À l’approche des échéances électorales dans les républiques bananières les analystes ont toujours eu la même formule pour susciter un semblant de suspens autour d’un résultat connu d’avance « l’enjeu du scrutin ne se jouera pas sur le nom du gagnant mais sur le taux de participation de l’électorat. » La suite est toujours la même : le président dictateur sortant est forcément réélu avec un score très bas de votants . Un score minable (expression claire et nette du rejet massif du potentat) que la Commission électorale « indépendante » a la bonne idée de gonfler pour pouvoir présenter un chiffre quelque peu honorable au pays, aux chancelleries accréditées, et aux bailleurs de fond.

La prochaine élection présidentielle au Burkina Faso ne va pas déroger à cette règle. Blaise Compaoré est assuré d’emporter haut la main le scrutin. La seule équation qui turlupine ses nombreux conseillers, accourus d’un peu partout, c’est de trouver comment tout mettre en œuvre afin que leur jocker puisse vaincre sans péril, mais dans un triomphe glorieux. Pas seulement dans le but de faire mentir l’adage bien connu qui dit qu’« à vaincre sans péril on triomphe sans gloire », mais pour signifier clairement aux Burkinabè d’abord, aux Africains et à l’opinion internationale ensuite, que Blaise Compaoré a désormais atteint la stature d’homme d’État qui a tant manqué au système françafricain après la disparition de Houphouët-Boigny.

Pour atteindre cet objectif stratégique et politique, la Françafrique n’a pas lésiné sur les moyens : à l’intérieur du pays, tous les moyens, légaux et illégaux, doux et violents, ont été utilisés pour discréditer et fragiliser toute velléité de contestation du régime : l’élan populaire de la lutte du Collectif contre l’impunité a été brisé par le débauchage (à coups de millions, de chantage, etc.) d’une frange des partis de l’opposition qui ont "conquis" lors des dernières élections législatives quelques strapontins à l’Assemblée nationale. En contrepartie : une mise en sourdine de leur interpellation du pouvoir de Ouagadougou pour faire arrêter et juger les nombreux criminels au service du pouvoir de Compaoré. Cette reculade de quelques opposants sans scrupules et/ou manquant d’intelligence politique va être exploitée par les caciques du régime pour décrédibiliser, lentement mais sûrement, l’ensemble de l’opposition politique. Résultat des courses : à l’exception notable d’un ou deux des douze candidats qui se présentent contre le président sortant, tous les autres traînent des casseroles qui plombent leur maigre espoir de rallier 1 % de l’électorat. La polémique surdimensionnée qu’agitent aujourd’hui certains milieux de cette opposition sur le fait de savoir si Blaise Compaoré peut ou non se présenter à la prochaine élection ne doit pas occulter la nécessaire autocritique que doivent faire ceux qui ont déserté les rangs du Collectif contre l’impunité sans obtenir, à l’issue de leur participation au « gouvernement de mission », une quelconque avancée dans le traitement des dossiers criminels. Dans ce contexte de discrédit général de toute opposition, les revendications des syndicats, bien que vigoureuses parce qu’unitaires ont été royalement méprisées par le gouvernement.

Cette vaste entreprise de marginalisation des voix discordantes « au pays des hommes intègres » a été orchestrée avec l’appui constant de l’ex- ambassadeur de France au Burkina Faso, Maurice Portiche, et de nombreux autres conseillers plus ou moins occultes. Pour mémoire, M. Portiche avait reçu, au temps fort des mobilisations autour de l’Affaire Zongo , l’ensemble les leaders de l’opposition pour leur intimer l’ordre de se présenter aux élections législatives et de rejoindre le gouvernement de « large ouverture » que leur offrait Compaoré, dans l’intention manifeste de saborder le mouvement de contestation de son régime. M. Portiche, bon prince, avait eu la bienséance d’assortir son injonction d’une ferme promesse de financer ceux d’entre eux qui acceptaient de participer à cette « salutaire réconciliation nationale ».

Une fois l’opposition, les organisations des droits de l’Homme et les syndicats mis hors d’état de nuire au régime, une fois passée la grosse frayeur qui avait agité le palais présidentiel quand a éclaté l’affaire Norbert Zongo, les mêmes conseillers vont s’atteler à l’élaboration d’un plan de communication visant à refaire l’image largement écorchée de « l’enfant terrible de Ziniaré » au fil des révélations des familles des nombreuses victimes du régime. L’accueil pompeux à l’Élysée, par son ami personnel Chirac en octobre 2000, sa distinction de Docteur Honoris Causa par le président de l’Université de Lyon 3, en avril 2004, et l’accueil du sommet de la Francophonie par le Burkina Faso, en novembre de la même année, ont été des échéances médiatiques décisives pour relooker le « beau Blaise ».

Le candidat de la « majorité présidentielle » peut alors se déclarer « fin prêt pour affronter ses adversaires », après un long simulacre durant lequel le président sortant s’est fait longuement supplier de se présenter au scrutin du 13 novembre prochain par des « Groupes de soutien à la candidature de Blaise Compaoré » créés, entretenus et managés par les gens du premier cercle du pouvoir. Pour parfaire ce dispositif de communication de haut vol un organisme "indépendant" réalise dans la foulée un sondage d’opinion dont le résultat est sans équivoque : Blaise Compaoré est de très loin le « candidat préféré » des Burkinabè. La boucle est bouclée !

Qu’importe si son bilan politique est calamiteux : la réalité du pouvoir reste concentré entre les mains de l’autocrate, sa famille et ses amis qui usent et abusent du bien public burkinabé, organisent un vaste trafic mafieux en Afrique de l’Ouest (mercenaires, armes, diamants, etc.) avec la complicité de seigneurs de guerre sans vergogne. Qu’importe si son bilan économique est désastreux : le long règne de Blaise a eu pour effet palpable de faire passer le Burkina du rang de pays pauvre à celui de pays pauvre très endetté. Ce qui lui vaut (le ridicule ne tuant pas !) le titre de « bon élève » du FMI. Qu’importe si son bilan social est catastrophique : la famine bat son plein dans le centre et le nord du pays au moment même où le candidat Blaise et ses supporters ne tarissent pas de qualificatifs sur le « bilan élogieux de la 4ème République ». Que dire de l’état des droits humains ? La longue liste des crimes économiques et de sang, toujours en souffrance devant les tribunaux burkinabés, illustre le lourd passif du régime.

Qu’à cela ne tienne ! Blaise Compaoré continue sans aucune gêne et sans état d’âme à annoncer au peuple burkinabé, dans ses promesses de campagne, ce qu’il s’était juré de réaliser quand il est apparu au devant de la scène politique du pays en...1983 : le pain et la liberté.

Par Sissulu Mandjou Sory, Billets d’Afrique et d’ailleurs n° 140, octobre 2005.

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