Survie

Cameroun : l’hypocrisie française renouvelée

Photo CC-BY-NC-ND Carsten ten Brink
Publié le 4 octobre 2017 - Odile Tobner

Alors que le bilan réel de la violente répression qui s’est abattue sur les manifestants anglophones le week-end dernier n’est toujours pas connu - et qu’il risque de ne jamais l’être précisément -, la diplomatie française se contente d’assurer tout en langue de bois qu’elle "suit avec attention" la situation. La France est pourtant un partenaire essentiel de l’appareil répressif camerounais.

Voilà presque un an que le malaise des provinces anglophones du Cameroun s’exprime obstinément et témoigne de la profondeur et de la gravité du problème politique vécu par leurs populations. Le gouvernement de Biya y a répondu seulement par la répression qui malgré sa violence n’a fait qu’exacerber le sentiment de révolte. Début septembre, la libération de quelques-uns des leaders arrêtés et détenus arbitrairement n’a pas suffi à éteindre l’incendie. Le pouvoir n’a en effet rien négocié des revendications sur le retour au fédéralisme, souhaité par la majorité des anglophones, voire l’indépendance exigée par la partie la plus radicale d’entre eux.

Braver le couvre-feu

Le dimanche 1er octobre était annoncé comme date de la proclamation de l’indépendance de L’Ambazonie, nom du nouvel État. Les autorités décrétèrent le couvre-feu pour ce week-end. En vain, les manifestants furent nombreux dans les rues, brandissant leur drapeau bleu et blanc. Militaires et policiers présents en grand nombre ont répliqué par des tirs meurtriers. Le bilan de ce dimanche est très lourd, 17 tués au moins selon Amnesty International, 22 selon le REDHAC (Rassemblement pour les Droits de l’Homme en Afrique Centrale), plus de 30 selon le SDF (Social Democratic Front), uniquement pour le Nord-Ouest, une des deux régions concernées. Bilan macabre auquel il faut ajouter des centaines de blessés, dans un pays où l’accès aux soins est une gageure, et un nombre inconnu d’arrestations arbitraires.
Le SDF, parti d’opposition traditionnel, après son heure de gloire en 1992, où il gagna de fait dans les urnes la première élection multipartite camerounaise, immédiatement confisquée, s’est enfoncé par la suite dans une molle opposition institutionnelle comme partenaire alibi du pouvoir. Le mouvement actuel ne doit rien au SDF, qui est resté muet toute cette année, même s’il tente à présent de prendre le train en marche. De nouvelles organisations et surtout de nouveaux leaders ont émergé, tel l’avocat Agbor Balla, récemment libéré après 6 mois d’emprisonnement.
Biya, en ce moment dans son habituelle villégiature de Genève, n’a absolument pas pris la mesure de cette situation politique, qu’il pense régler comme d’habitude par la violence - 300 morts en 1991, 150 en 2008 – assuré de l’indulgence aveugle de ses protecteurs, la France et conséquemment l’ONU. Les temps ont changé, la communication ne dépend plus des seuls journaux, toujours complaisants en Françafrique. Si les événements du Cameroun n’ont certes pas été aussi médiatisés que ceux de Barcelone, pour une revendication identique, quelques médias les ont brièvement signalés, rompant avec le silence habituel.

La France "préoccupée" ?

Le Secrétaire Général de l’ONU, dans un communiqué publié la veille du 1er octobre, s’est dit « profondément préoccupé par la situation au Cameroun », il appelle à « un dialogue véritable et inclusif ». Le Ministère des Affaires Étrangères français, interrogé au lendemain des dernières manifestations violemment réprimées, a répondu : « La France suit avec attention la situation au Cameroun et est préoccupée par les incidents survenus durant le week-end, qui ont fait plusieurs victimes. Nous appelons l’ensemble des acteurs à la retenue et au rejet de la violence. ». Ces réactions a minima, sont franchement indécentes, comparées aux sévères condamnations prononcées contre certains gouvernements. On attend que la France appelle Biya à ne pas tirer sur des citoyens soutenant de justes revendications, et surtout ne lui en donne pas les moyens, par des conseillers et des équipements, qu’elle suspende par conséquent son aide multiforme. Notre ambassade sur place ne se vante-elle pas sur son site internet que « le Cameroun en tant que puissance avérée dans la sous-région dispos[ait en 2010] de la plus importante mission de coopération avec 24 coopérants  » ? Avant l’ouverture d’un front de "lutte contre le terrorisme" à l’Extrême-Nord, au titre duquel cette coopération a pu s’intensifier, le député Michel Terrot (Les Républicains) écrivait dans un rapport fait au nom de la commission des Affaires étrangères que la France « entretient avec le Cameroun une coopération de défense importante, d’un montant de 3,95 millions d’euros en 2011 […]. L’aide se traduit notamment par la mise à disposition de 17 coopérants permanents, pour l’essentiel basés à Yaoundé et par l’attribution d’une aide logistique directe de près de 300 000 euros. […] Le budget total des actions de formation de défense menées au Cameroun est de 754 000 euros. [Sans compter] la présence d’un conseiller auprès du ministre de la défense et des hautes autorités militaires ». Aujourd’hui, aucune information publique n’est communiquée sur cette coopération [1], la France préférant « suivre avec attention » une situation qu’elle observe pourtant depuis l’intérieur même de l’appareil répressif.
On attend que l’ONU écoute l’appel d’un peuple pour sa liberté et plaide sa cause auprès du tyran en menaçant ce dernier de sanctions, comme elle sait le faire parfois.

[1On trouve toutefois des "photos souvenirs" d’une formation des forces spéciales camerounaises en mars 2015 par le 6ème BIMa (Eléments Français au Gabon, EFG), par exemple ici, ou

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