Survie

Pius Njawé victime d’une manoeuvre d’intimidation, en France

Publié le 26 novembre 2008 - Survie

Invité en France par Survie dans le cadre de la Semaine de la solidarité internationale, le journaliste camerounais Pius Njawé était le 25 novembre 2008 à Annemasse, à deux pas de Genève. Au cours de cette intervention, le public présent dans la salle du Centre Martin Luther King a été le témoin d’une manœuvre d’intimidation. Il n’en revient toujours pas.

Compte rendu de Juliette Abandokwe, journaliste.

La conférence d’Annemasse commence à 20h comme prévu. La petite salle du Centre Martin Luther King est pratiquement comble. Parmi un public majoritairement français arrivé petit à petit, sont entré quatre gaillards habillés en manteaux sombres, chaussures dernier cri et bien cirées, les mains dans les poches, et avec un air un brin prétentieux et belliqueux à vrai dire. Pius Njawé arrive accompagné du coordinateur Rhône-Alpes de Survie, s’installe et commence à parler d’abord du rôle socio-économique des entreprises françaises au Cameroun. Il poursuit avec son expérience en tant que témoin oculaire de ce que le régime dictatorial de Biya inflige au peuple camerounais quand il cherche à se rebeller, et à la censure systématique de la presse indépendante.

Arrive le temps des questions et du débat. Les messieurs en manteaux sombres s’étaient installés au dernier rang. Le premier se lève, et s’appuyant nonchalamment contre le mur d’un air suffisant, se présente comme un membre de la diaspora. Il invective Pius Njawé d’un ton mesuré sur son exposé « si on peut appeler ça un exposé », lui demandant de quel droit il parle pour les camerounais, et de quel droit il prétend trouver des solutions pour le Cameroun. M. Njawé répond posément. Se lève ensuite le second, qui continue sur la même lancée, faisant des remarques sarcastiques sur le « projet de société » du Messager, et sur le rôle douteux du Messager dans la vie quotidienne camerounaise. M. Njawé répond encore. Le reste du public assiste effaré à ces attaques verbales, ne comprenant pas d’où diable ces hommes si agressifs sortent ! Et pour cause.

Car nous sommes en plein délire ! La politique intimidatrice du RDPC, parti au pouvoir, et la dictature africaine à l’état pur, là à Annemasse dans une petite salle devant une assemblée d’une cinquantaine de personnes souvent inconscientes de ce qui se passe en Afrique aujourd’hui, et surtout ignorantes de la violence des dictatures qui y sévissent.

Le responsable de Survie se lève et essaie de calmer le jeu en cherchant à recadrer le débat sur le thème de la soirée : le rôle de la Françafrique. Dans ce sens, il rappelle que par exemple le massacre de 400 000 bamiléké au cours de la guerre d’indépendance ne figure dans aucune mémoire française. Le troisième larron du fond de la salle, manifestement le doyen et mentor du groupe, tente d’étouffer la discussion par effraction, se mettant carrément à tutoyer M. Njawé, en l’accusant de victimisation ethnique.

Ç’en est trop, le public se manifeste en faveur de Njawé, et se rebelle contre ces effractions verbales agressives et ridicules pour certaines. L’ennemi de l’Afrique est bel et bien l’africain, dis-je. Les querelles interpersonnelles de bas étage, voilà ce qui tue le progrès en Afrique. Avec véhémence, je refuse la dérive ethnique de la conversation, et demande que l’on respecte la mémoire des 400 000 bamilékés bombardés au napalm par les français pendant la guerre d’indépendance, au même titre que l’ensemble des victimes camerounaises toutes ethnies confondues. Et je questionne enfin le rôle de la diaspora qu’ils prétendent représenter, mis à part les attaques de casse sur les initiatives existantes.

Pas de réponse. Les quatre sbires, sentant que le temps est venu de partir, sortent en ne lésinant sur aucun effort d’intimidation sur le chemin de la porte de sortie.

Un ouf de soulagement envahit la salle. La pression diminue, et les uns et les autres réalisent qu’ils ont été témoin de ce que Pius Njawé explique dans son exposé. La volonté délibérée du régime dictatorial camerounais d’éliminer toute forme de levée de conscience. Nos quatre corbeaux se révèlent être des employés du Consulat du Cameroun à Genève, et sont donc payés par leur gouvernement pour casser la résistance camerounaise, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

En tout cas les spectateurs d’un soir ont mieux compris ce qui se passe au Cameroun en terme de pression. Ils ont compris sous quelle botte est écrasée la volonté d’un peuple de se lever. Ils ont compris l’enjeu de la résistance qu’offre Pius Njawé depuis des années à un gouvernement qui ne veut en aucun cas que des troublions ne viennent déranger la quiétude du Palais d’Etoudi.

Qu’à cela ne tienne. La lutte continue. Pius Njawé sera à Grenoble le 26 novembre, et ensuite à Lyon. Nul doute aura-t-il encore affaire à des hommes en noir. Il a l’habitude d’être contrarié et insulté pour le courage civil qui est le sien, comme tous ceux qui luttent au péril de leur liberté et de leur vie, pour un Cameroun meilleur, et pour une Afrique où les peuples sont enfin écoutés et respectés.

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