Survie

Alerte à Mayotte

Publié le 21 décembre 2005 - Survie

Les propos tenus en septembre 2005 par François Baroin, ministre de l’Outre-mer, suggérant qu’il fallait remettre en question le droit du sol au profit du droit du sang dans « certaines Collectivités Territoriales », ont déclenché des défoulements haineux à Mayotte, où des leaders d’opinion appellent les Mahorais à la chasse contre leurs cousins comoriens, qu’ils hébergent ou qu’ils emploient à bon compte grâce au statut de "clandestins", en les désignant comme responsables de tous les maux qui les frappent, et ce dans une large indifférence médiatique [1].

Or, en droit international, ces "clandestins" ne franchissent aucune frontière. En effet, le 12 novembre 1975, l’archipel des Comores, composé de quatre îles (Ngazidja, Anjouan, Moheli, et Mayotte), était admis à l’ONU comme un État nouvellement indépendant. Mais la France viole les règles internationales et maintient son drapeau et ses fonctionnaires à Mayotte, en s’appuyant sur une « volonté des Mahorais » construite par des menaces et des frustrations (transfert de la capitale administrative, économique et politique des Comores de Mayotte vers Ngazidja, à Moroni, dans les années 1960, déplacements forcés d’indépendantistes supposés de Mayotte vers ses îles sœurs, lors et autour du référendum d’autodétermination...). Condamnée fermement vingt fois par l’ONU, cette situation reste illégale.

Après 1975, la France a laissé les Comoriens circuler entre les quatre îles, pour ne pas ajouter le crime de déplacements forcés de populations à l’illégalité de l’occupation de Mayotte. Ceci jusqu’en 1995, où Charles Pasqua, au sein du gouvernement d’Édouard Balladur, a mis en place un visa, laborieux à obtenir, pour empêcher les Comoriens des autres îles de se rendre à Mayotte. Depuis, ce sont des milliers de traversées qui se font chaque année sur des embarcations de fortune, en cachette des forces françaises. On décompte en tout des milliers de morts par naufrage de ces « kwassa-kwassa ».

Pour ceux qui réussissent la traversée, les conditions de la vie clandestine sont indignes, notamment lorsqu’ils travaillent sans aucun droit pour des salaires misérables.

Les maisons de ces "clandestins" sont régulièrement incendiées avec la bénédiction de maires, du préfet et sous la protection de la gendarmerie. Les victimes sont entassées dans des centres de rétention en attendant leur déportation vers les autres îles.

Depuis fin septembre, le député UMP Mansour Kamaridine organise la fronde (manifestations, pétitions, etc.), et le préfet continuait de faire incendier des quartiers hébergeant des "clandestins" alors qu’il n’y avait plus un seul bateau autorisé à les évacuer vers les autres îles. Nombreux sont ceux qui se sont réfugiés dans des forêts.

Rappelons qu’en droit international, les déplacements forcés de populations dont les forces françaises se rendent coupables sont un crime contre l’humanité, passible de la Cour pénale internationale (articles 7.1.d et 7.2.d des Statuts de Rome) pour ceux commis depuis son entrée en vigueur, en juillet 2002.

Pourquoi la France demeure-t-elle sur la scène internationale un pays qui bafoue des frontières nationales et des résolutions de l’ONU ?

Une attitude légaliste lui rendrait la légitimité qui lui a manqué pour donner des leçons de droit international aux États-Unis lorsqu’ils annonçaient leur intention d’envahir l’Irak. Les Comoriens des autres îles circulant à Mayotte ne sont ni des « immigrés », ni des « clandestins » : ils sont sur leur territoire, qui est occupé par une puissance étrangère.

Nous demandons aux autorités françaises :

  d’abroger ce visa immédiatement, et donc de renoncer aux déplacements forcés des Comoriens,

  de nommer à Mayotte un préfet qui aura pour mission d’apaiser les esprits d’une population galvanisée par le poison de la xénophobie.

Nous demandons également à l’ONU et à l’UA d’établir une commission d’enquête internationale sur la possibilité de rendre la souveraineté sur Mayotte à l’Union des Comores. La nouvelle Constitution comorienne laisse en effet une telle autonomie aux quatre îles qui la composent que les Mahorais pourront s’administrer eux-mêmes, avec un niveau de partenariat très poussé avec la France. Le principe constitutionnel de la présidence tournante de l’Union leur assurera le partage à tour de rôle de la souveraineté de l’Union, dont les pouvoirs peuvent se résumer à la protection des frontières comoriennes.

[1France inter fera notoirement exception en programmant prochainement une série des émissions Là-bas si j’y suis sur le sujet (probablement durant la semaine du 9 au 13 janvier)

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