Survie

Plainte déposée pour élucider le meurtre d’Alain et Gilda Didot et René Maïer, potentiels témoins de l’attentat du 6 avril 1994 au Rwanda

Publié le 9 avril 2024

Ce lundi 8 avril 2024, Maîtres Hector BERNARDINI et Jean SIMON ont déposé une plainte pénale contre X avec constitution de partie civile auprès du Doyen des juges d’instruction près le Tribunal Judiciaire de Paris, pour des faits de crime de guerre, homicide volontaire et usage de faux en écriture publique. Cette plainte, portée par des ayants-droits des victimes et par l’association Survie, vise à établir les responsabilités concernant la mort de deux gendarmes français et de l’épouse de l’un d’eux, à Kigali dans les premières heures du génocide des Tutsis.

Les circonstances de la mort des deux gendarmes Alain DIDOT et René MAÏER, ainsi que de Gilda LANA épouse DIDOT, demeurent mystérieuses, 30 ans après les faits. Cette plainte revient sur les éléments suspects suivants :

  • La synchronicité de ces décès avec l’attentat du 6 avril 1994 qui a coûté la vie au président Juvénal HABYARIMANA, les gendarmes effectuant des missions de veille radio à ce moment-là ; la DGSE (note 95118/N du 9 décembre 1994) suggère que les trois Français ont pu être éliminés parce qu’ils avaient été témoins de l’attentat.
  • La découverte des corps des époux DIDOT, le 12 avril (soit seulement trois jours après l’annonce officielle de leur décès) par des casques bleus belges sur indications de la DGSE et de militaires français, alors que des premières recherches infructueuses avaient été menées dans le jardin de la villa. Les corps étaient enterrés alignés à moins de 50 centimètres de profondeur, avec celui de leur jeune gardien rwandais, Monsieur Jean-Damascène MURASIRA, également assassiné.
  • La découverte du corps de René MAÏER le 13 avril, par les mêmes casques bleus belges, à quelques mètres du lieu où ont été retrouvés les corps des époux DIDOT la veille.
  • Le nombre important de certificats de décès aux conclusions variables, qualifiés de faux grossiers selon le médecin militaire dont le tampon figure sur ces certificats. Ces certificats sont au moins au nombre de huit : il y en a quatre pour René MAÏER, trois pour Alain DIDOT, un pour Gilda LANA épouse DIDOT. Certains mentionnent des décès accidentels et d’autres par balle ; certains datent le décès au mercredi 6 avril 1994 vers 21h, d’autres au 8 avril...

Les familles n’ont jamais vu les corps et aucune autopsie n’a été effectuée. Sur les registres d’état-civil, les actes de décès basés sur ces faux certificats indiquent initialement la date du 6 avril 1994, puis seront rectifiés au 8 avril 1994 sur décision du Procureur de la République. Selon la mère de Gilda LANA, un individu se présentant comme un gendarme est venu lui faire signer une renonciation à déposer une plainte.

Dès le 8 avril, l’ambassadeur de France au Rwanda impute la responsabilité des homicides aux éléments du FPR dans un télégramme. Cette hypothèse est plausible mais interroge : pourquoi des éléments du FPR auraient assassiné des Français qui venaient de protéger des Tutsi réfugiés à leur domicile ? Une hypothèse opposée, formulée le 22 juillet 1994 dans une fiche de renseignement de la gendarmerie et basée sur le témoignage d’un voisin allemand, attribue le meurtre à des militaires rwandais en représailles de la protection accordée à des Tutsi.

Bien qu’il s’agisse de trois Français dont deux militaires en service, ces homicides n’ont fait l’objet d’aucune enquête spécifique. Et ce, malgré la demande d’un député relayée par le Procureur de la République de Paris, et bien qu’ils aient été évoqués dans les investigations concernant l’attentat du 6 avril.

Selon Maîtres BERNARDINI et SIMON, avocats de Survie :

« Le combat contre l’impunité se poursuit. Nous espérons que, malgré les évidentes gênes qui ont entouré cette affaire, la justice contribuera à dissiper des zones d’ombre qui persistent dans ce quadruple homicide et sur la possible implication française dans l’attentat du 6 avril 1994. »

Cette plainte, déposée avant la prescription des faits, intervient dans un contexte de remous politiques autour des trentièmes commémorations du début du génocide, après un renoncement par l’Elysée à prononcer une phrase annoncée à des journalistes quelques jours auparavant, établissant l’absence de volonté de la France d’arrêter le génocide.

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