Survie

Arrestation du capitaine Barril. La stratégie de l’araignée

Publié le 10 janvier 2008 - Odile Tobner

Le trop célèbre capitaine Barril, qui s’est
miraculeusement tiré sans grand dommage d’affaires
d’État où il avait joué, de notoriété publique, un rôle
non négligeable (affaire des Irlandais de Vincennes,
affaire des écoutes de l’Élysée) vient de tomber
comme un vulgaire truand.

Après quatre jours de garde à vue, Paul Barril a été mis en examen et placé en détention à Marseille le 24 décembre dernier pour « association de malfaiteurs en vue de la commission d’extorsion en bande organisée, en vue
de commission d’assassinat et en vue de
commission de corruption », dans le cadre
de l’affaire du cercle de jeux parisien
Concorde. Rien que cela.

Cette affaire, où se côtoient la finance prédatrice
et le grand banditisme révèle les agissements de toute une faune pittoresque : du paisible retraité, Roland
Cassonne qui, dans sa somptueuse propriété provençale, tond sa pelouse avec un gilet pare-balle et un pistolet chargé à la ceinture, au monsieur sans histoire, Marcel Ciappa, hospitalisé pour une fracture, exécuté par deux faux médecins, en passant par le banquier suisse,
François Rouge - cela ne s’invente pas - acquéreur de la banque de la loge P2, l’ex-gendarme hâbleur du GIGN, vedette des médias, Paul Barril soi-même et enfin le cerveau, directeur artistique d’établissements de jeux et de restauration, Paul Lantieri, en fuite. Rajoutons
la fusillade contre des caïds arabes dans un bar marseillais et d’autres ingrédients dont on trouverait l’accumulation caricaturale dans un scénario. La réalité dépasse la fiction et l’on n’est pas au bout
des surprises et des rebondissements.

La vogue actuelle du poker, lancée par des vedettes des médias, a accru les convoitises sur les dix cercles de jeux installés dans la capitale. Le « Cercle
pour la communication et les relations humaines » - puisque les cercles de jeux, conventionnellement, sont des associations à but non lucratif et à objet de bienfaisance, dit « Cercle Concorde » est la nouvelle appellation du « Cercle républicain » fondé en 1907. Celui-ci, fermé
en 1987, a déposé, en novembre 2004, une première demande de réouverture, refusée par le ministre de l’Intérieur Dominique de Villepin. Ce n’est que partie remise et le 19 juillet 2005 un arrêté du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, autorise le Cercle Concorde à ouvrir un
espace de jeux de hasard au 14 de la rue Cadet à Paris. Les policiers, connaissant le pedigree de certains animateurs de l’entreprise, n’en sont pas revenus.

Cette décision fera le bonheur du propriétaire
des lieux, la Société anonyme immobilière parisienne de la perle et des pierres précieuses (SAIP), filiale de
Eau et Électricité de Madagascar (EEM),
qui a des intérêts également dans la Société
française des casinos (SFC). En effet,
après avoir loué en septembre 2005
son immeuble de la rue Cadet, inoccupé
depuis plusieurs années, au Cercle
Concorde, et après que d’importants travaux
ont été effectués en échange d’un an
de loyer, la SAIP vend l’immeuble, le 25
octobre 2006, pour 7,6 millions d’euros,
dégageant une coquette plus-value. Le
PDG de EEM n’est autre que François
Gontier qui de trader à succès est devenu
un redoutable raider. Il est, comme Nicolas
Sarkozy, partie civile dans l’affaire
Clearstream, étant cité dans les fameux
listings. Ses témoignages chargent M. de
Villepin en le présentant comme protecteur
d’Imad Lahoud, mis en examen pour
falsification des dits listings.

Arrestations et mises en examen retentissantes

Mais revenons au Cercle Concorde. Tout
se gâte dans cette juteuse entreprise début
2007 quand le directeur artistique, gérant
de fait du Cercle, Paul Lantiéri, se trouve
inculpé de recel et association de malfaiteurs
mais laissé en liberté par le juge, ce
qui étonne à nouveau les policiers, dans
l’affaire du bar des Marronniers à Marseille.
Il aurait aidé un des assaillants,
blessé dans la fusillade, à se faire soigner.
Les policiers, après une première
perquisition dans les locaux du Cercle
Concorde, vont mener une enquête sur sa
gestion qui aboutit, fin 2007 à la fermeture
de l’établissement et à une douzaine
d’arrestations et mises en examen retentissantes,
dont celle de Paul Barril.

Paul Lantiéri, lui, n’a pas attendu
et a disparu dans la nature. Tout ce
dérangement viendrait d’une lutte
de clans pour le contrôle du Cercle
Concorde entre l’ancien dirigeant
Edmond Raffali et le nouveau, Paul Lantiéri.
Le premier l’aurait emporté sur le
second, qui aurait appelé Paul Barril à
son secours. Edmond Raffali apparut naguère
dans une actualité de mauvais aloi
quand il fut poursuivi, et relaxé faute de
preuve, sous le soupçon d’avoir porté à
Yves Chalier, chef de cabinet du ministre
socialiste de la Coopération Christian
Nucci, le vrai-faux passeport fabriqué
par les services français. Vrai-faux passeport
qui lui permettait d’échapper à la
justice française pour gagner le Brésil où
il fut logé dans un appartement appartenant
à Jules Filippeddu, autre notable
proche des acteurs de l’affaire du Cercle
concorde.

Il fut établi à l’époque que le passeport
fut bel et bien commandé par Charles
Pasqua en personne, alors ministre de
l’Intérieur. Le contrôleur général Jacques
Delebois porta le chapeau et, révoqué de
la police nationale, poursuivit une très
lucrative carrière au service de présidents
afri-cains. Il est aujourd’hui un des
membres de l’équipe de l’agence « Protection
totale engineering group », basée
à Genève où il est chargé de la « chasse
aux espions industriels en Europe et la
mise en place de réseaux d’information
et de renseignement pour le compte
d’États africains de façon à promouvoir
la stabilité politique » (en clair neutraliser
les opposants).

À force de promouvoir la stabilité politique
en Afrique, les anciens militaires ou
policiers français peuvent se retrouver,
comme Paul Barril, conseiller du régime
d’Habyarimana, qui finit en génocide.
En tout cas, le lien révélé entre Barril et
des protagonistes de l’affaire du Cercle
Concorde est un indicateur de la proximité
existant entre les officines de « sécurité
 » opérant en Afrique et les machines
à recycler l’argent d’origine douteuse
que sont les affaires de jeux. Si ces affaires
réussissent à prospérer en France, où
les jeux sont théoriquement étroitement
contrôlés, que dire de leur vitalité exponentielle
en Afrique francophone, où la
pègre française règne sans entraves dans
l’ombre de régimes « forts » conseillés
par des « experts » français !

Odile Tobner - Article paru dans Billets d’Afrique et d’ailleurs n°165. Janvier 2008

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