Le 17 novembre dernier, le ministre de l’intérieur français, Manuel Valls, s’est rendu en Mauritanie dans le cadre de sa tournée en Afrique de l’Ouest. Il a signé avec son homologue mauritanien un protocole d’accord portant sur le renforcement de la coopération entre la France et la Mauritanie dans le domaine de la sécurité, de la lutte contre le terrorisme, le trafic des drogues. Au vu du bilan du régime mauritanien dans ces domaines, il paraît bien peu pertinent de coopérer avec lui.
D’une part, il est peu judicieux d’apporter ainsi sa caution à un pouvoir contesté, notamment dans sa volonté d’organiser coûte que coûte des élections législatives et municipales qu’une partie de l’opposition a annoncé boycotter.
D’autre part, en terme de sécurité et de gouvernance, la Mauritanie est un partenaire douteux. La preuve en fut apportée dès le lendemain lors de la répression par les forces de l’ordre mauritaniennes d’une manifestation s’opposant à la tenue de ces élections. La police a ainsi tabassé des manifestants pacifiques aux dires du correspondant de l’AFP (18/11/2013) et du journal Alakhbar. Un journaliste de ce journal qui couvrait l’événement a également été légèrement blessé. Un comble au lendemain d’un protocole d’accord pour la gouvernance et alors que la France fait adopter un texte à l’ONU demandant aux États de mettre fin à l’impunité et d’aller jusqu’au bout des enquêtes dans les crimes commis contre les journalistes...
Par ailleurs, alors qu’« en matière de renseignements, de formation de la gendarmerie, de la police, d’utilisation des nouvelles technologies d’information et de communications », Manuel Valls affirme « [pouvoir] aller incontestablement plus loin » (RFI, 18/11/2013), on peut légitimement se demander ce que cela recouvre... peut-être un appui dans la surveillance des communications... ? Au terme de la cérémonie de signature de l’accord, a été remis un lot d’équipements et de matériels sécuritaire et informatique destinés aux services de sécurité mauritaniens...
Enfin, le ministre français n’a pas mégoté sur la brosse à reluire envers le général-putschiste-président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, « [considérant] avec beaucoup d’admiration son engagement et l’engagement de la Mauritanie pour la sécurité du Sahel, pour lutter contre le terrorisme et les trafics de drogue ».
Or, dans tous ces domaines, le bilan du président mauritanien est douteux. Rappelons tout d’abord que les autorités maliennes se méfient de leurs homologues mauritaniennes, leur refusant toute participation aux contingents de la MINUSMA eu égard au jeu trouble qu’elles auraient joué dans la crise au Nord du pays. Nouakchott était en effet devenue la capitale diplomatique du MNLA, alors que certains à Nouakchott suggèrent des liens entre le clan présidentiel et certains éléments du MUJAO.
Quant à la lutte antiterroriste, la Mauritanie n’est pas non plus à l’abri de tout soupçon. Ainsi, pour déstabiliser le président élu de l’époque puis légitimer son renversement, le général Aziz avait beaucoup usé de la ficelle de la lutte contre le terrorisme au risque de paraître la tirer (lire Billets d’Afrique n°171, juillet-août 2008, n°173, octobre 2008, n°185, novembre 2009).
Cette hypothèse n’est pas seulement une lubie de mauvais esprit, mais est aussi reprise à demimot par certains spécialistes. Ainsi en août 2010 sur RFI, à une question sur la dangerosité des groupes islamistes armés en Mauritanie, Alain Chouet, ancien chef de la sécurité de la DGSE répondait qu’« il y a une situation interne à la Mauritanie qu’il faudrait observer, avec un certain nombre de rivalités de pouvoir, et puis peutêtre aussi d’incapacité de contrôler le territoire. »...
Mais le point le plus polémique et le plus risqué est sans doute la question de la drogue. Rappelons que le président Abdel Aziz a porté plainte contre le député Vert français Noël Mamère qui l’avait accusé sur Arte en janvier dernier d’être un « parrain de la drogue ». À l’appui de ses propos, Mamère avait fait référence à « une grâce présidentielle accordée à un trafiquant de drogue et des relations poussées avec un consul de Guinée-Bissau plaque tournante du trafic de drogue, qui a pignon à la présidence mauritanienne ». Des propos repris par Nicolas Beau dans son dernier livre « Papa Hollande au Mali ».
Pourtant en septembre 2009,un câble de l’ambassade états-unienne à Nouakchott, révélé par Wikileaks, s’inquiète déjà de la perspective de voir la Mauritanie se transformer en « narco-État ». Ce même câble reprend les propos de JeanLuc Peduzzi, commissairedivisionnaire attaché de sécurité intérieur en Mauritanie pour le Ministère des Affaires Étrangères français. Celui-ci, à propos de l’extradition d’un trafiquant de drogue vers la Mauritanie, interprète « l’enthousiasme d’Aziz à coopérer comme un signe qu’il n’est pas impliqué dans le trafic de drogue. »
Le câble reprend « les Français sont convaincus qu’Aziz n’aurait jamais accepté l’extradition si lui ou un de ses proches avait eu des liens avec le trafic de drogue ». Or c’est à ce trafiquant que Mamère faisait référence quand il affirmait qu’il avait bénéficié d’une grâce présidentielle...
Dans ce même câble, Alain Antil, chercheur à l’Institut Français des Relations Internationales, propose une estimation du trafic de drogues en Mauritanie en 2007 à 237 millions de dollars, soit 8,5 % du PIB mauritanien.
L’ambassade états-unienne synthétise ses propos en une formule : « le considérable impact macroéconomique du trafic fait qu’il est impossible de croire que les chefs politiques et gouvernementaux en Mauritanie ne sont pas impliqués dans le problème », en effet « le trafic ne peut se faire sans s’assurer que la drogue arrivera en tout sécurité à destination ». Le chercheur est également cité : « au mieux, les autorités sont payées pour fermer les yeux. Au pire, elles participent. »
Peut-être que M. Valls ferait bien de se poser la question s’il n’entend pas coopérer avec un narco-État en signant cet accord de coopération sécuritaire...