Le 1er octobre, le ministère des Affaires étrangères « dément formellement toute implication » de la France dans les rebondissements du putsch qui secoue le Burkina Faso depuis la veille. Les intox pullulent alors sur les réseaux sociaux, diffusées à la fois par des trolls (faux-comptes) russes et des militants sincères. Le 20 octobre, alors que plusieurs dizaines de personnes tombent sous les balles de la dictature au Tchad, l’exercice se répète, avec de grosses nuances. Après avoir condamné « l’utilisation d’armes létales contre les manifestants », le Quai d’Orsay s’empresse de préciser que « la France ne joue aucun rôle dans ces événements, qui relèvent strictement de la politique intérieure » de ce pays, et que « les fausses informations sur une prétendue implication de la France n’ont aucun fondement ». Un démenti fait selon un exercice dans lequel la diplomatie française excèle : ne pas mentir frontalement, tout en s’assurant d’omettre l’essentiel. Comme à leur habitude, les rédactions parisiennes reprennent largement cette affirmation, sans la confronter aux faits. Qu’importe si le site internet de l’ambassade de France à N’Djamena dit autre chose : « L’appui structurel de la France aux forces armées tchadiennes se traduit par l’insertion d’officiers et de sous-officiers français en qualité de coopérants militaires techniques au sein même de l’outil de défense du partenaire. Ainsi, une petite dizaine de militaires français [...] participent à la mise en œuvre des projets de restructuration et de formation des forces de défense et de sécurité. » Les mêmes forces qui, sur ordre des autorités tchadiennes, ouvrent le feu sur les manifestants. Evidemment, la coopération militaire et policière française ne consiste pas à enseigner ce type de répression sanglante : c’est même tout l’inverse, explique-t-on régulièrement du côté du Quai d’Orsay, qui en assure la tutelle politique. La France enseigne plutôt la « gestion démocratique des foules » et autres techniques de répression censées limiter les violences. C’est toute la différence avec la brutalité des mercenaires du groupe russe Wagner, ajoute-t-on désormais pour justifier la poursuite de ce type de coopération. Mais avec un tel argumentaire, plus la coopération française échoue dans cet objectif officiel, plus il faut la poursuivre voire l’approfondir : Paris n’aurait pas encore suffisamment civilisé ces brutes épaisses, en somme. En pratique, cela maintient un lien organique avec la dictature, symbolisant une fois de plus le soutien français à Mahamat Idriss Déby, installé dans le fauteuil de feu son père à l’occasion de funérailles auxquelles Emmanuel Macron était le seul chef d’État non africain à assister, en avril 2021. En parallèle, les discours sur le « déclin » de la France en Afrique continuent de prospérer suite au retrait militaire au Mali – un pays où l’armée française n’était revenue qu’en 2013, depuis son éviction dans les années 1960. Bien que les récents événements montrent de façon spectaculaire l’ampleur du ressentiment populaire contre Paris, rien ne matérialise un recul général sur le continent à ce stade. Il y a une sensation d’érosion, mais sans toucher aux fondamentaux de l’influence française. De quoi rappeler ce qu’écrivait le journaliste Vincent Hugeux : « Certes, quiconque parcourt le continent sent bien qu’un cycle touche à sa fin. […] Il n’empêche : en vertu des lois de l’évolution de l’espèce, la Françafrique mute, mais ne se rend pas. » C’était il y a déjà quinze ans [1].
[1] Vincent Hugeux, « La Françafrique fait de la résistance. Communicants, journalistes et juristes français à l’heure de la deuxième décolonisation », Politique africaine, 2007/1 (N° 105), p. 126-139.