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RD-Congo « Pourquoi la transition est-elle bloquée ? », de Bapuwa Mwamba, Le Phare 9 Juillet 2006

Publié le 9 juillet 2006

Dans la nuit de vendredi 7 au samedi 8 juillet, des hommes armés se sont introduits au domicile du journaliste Bapuwa Mwamba à Matete, et l’ont abattu de deux coups de feu. Un assassinat qui vise une fois de plus un homme des médias. Journaliste de talent, Bapuwa Mwamba est mort au front, ainsi qu’en témoigne sa dernière analyse publiée dans Le Phare 2875 du jeudi 06 juillet 2006. Une sorte de testament qui lui a probablement coûté la vie. Nous reproduisons ci-dessous cet article.

(Le Phare 09/07/2006)

Après trois ans de transition démocratique, la situation politique se complique en République démocratique du Congo à la veille des élections. Le Comité international d’accompagnement de la transition n’est plus d’aucun secours. Les acteurs politiques congolais sont en quête de nouveaux médiateurs extérieurs au moment où la campagne électorale bat son plein. La transition a pris fin le 30 Juin pour des élections qui doivent avoir lieu le 30 Juillet 2006.

Depuis un certain temps, la tension politique est palpable en République démocratique du Congo. A l’insécurité croissante qui règne à l’Est du pays, en Ituri, à la frontière avec l’Ouganda, s’est ajouté un regain d’activités des milices. Les atteintes aux droits de l’homme fréquentes et causées le plus souvent par les Forces armées de la RDC (Fardc) font désormais partie du paysage congolais. Ne parlons pas des tracasseries policières devenues partout monnaie courante. Les membres de l’armée et la police gagnent un salaire de misère irrégulièrement versé et l’Etat ne fonctionne pas.

Intolérance politique et intimidations policières Kinshasa connaît un malaise politique dont témoignent plusieurs manifestations. Des actes de provocation ou d’intolérance se multiplient à l’encontre de la population, des partis politiques et même des pays étrangers qui soutiennent le Congo. Des bouclages ont été organisés en mars dernier dans certains quartiers populaires de Kinshasa où de jeunes gens ont été massivement arrêtés et emportés. De nombreuses personnalités politiques, dont des candidats à la présidence de la République ont été mis en résidence surveillée après la manifestation du 24 mars 2006 organisée par les partisans de l’ " Union pour la Démocratie et le Progrès Social " (UDPS), un parti d’opposition, pour exiger un dialogue politique avant la tenue des prochaines élections.

 Affaires Kuthino et mercenaires

Le 14 mai 2006, le pasteur Kutino Fernando, initiateur du Mouvement " Sauvons le Congo " a été arrêté et maltraité par les " forces de l’ordre " pour des motifs de subversion non encore avérés. Cet incident a provoqué une vive réaction dans la population de Kinshasa. Une dizaine d’hommes politiques, parmi lesquels des candidats à l’élection présidentielle ont signé une pétition exigeant sa libération. Deux Vice-Présidents, Jean Pierre Bemba du "Mouvement de Libération du Congo " (MLC) et Azarias Ruberwa du " Rassemblement congolais pour la démocratie "(RCD) se sont ouvertement prononcés chacun pour sa libération. J.P. Bemba s’est même rendu de manière spectaculaire à la prison de Makala pour le saluer. Il y a l’affaire de 32 "mercenaires ", montée par le Ministère de l’Intérieur et impliquant sans preuves des ressortissants américains, nigérians et même sud-africains. Les diplomates des pays concernés ont aussitôt protesté et exigé que les accusations soient prouvées. Le Vice-Président de la République en charge de la Commission " Politique, Défense et Sécurité ", le Ministre de la Défense et le Chef d’Etat-Major ont dit avoir appris avec surprise la nouvelle par les médias. Le gouvernement n’avait pas discuté de la question.

Dans cette confusion, lesdits mercenaires ont été précipitamment relâchés et expulsés du Congo, faute de pouvoir éclaircir les motifs d’arrestation. Et les auteurs de ce montage ne sont pas sanctionnés.

 Hold up politique au-delà du 30 juin

Un groupe d’organisations politiques avec à sa tête deux vice-présidents, Azarias Ruberwa et Jean Pierre Bemba s’est rendu le 28 Juin au Gabon pour demander au Président gabonais sa médiation en vue d’organiser un dialogue politique au Congo. Pendant ce temps, le Président Joseph Kabila a commençait sa campagne politique au Kivu pour les élections présidentielles et législatives fixées au 30 juillet prochain. Face à cette escalade de provocations/protestations dont on ne peut mesurer les dégâts dans l’opinion publique, le Comité International d’Accompagnement de la Transition (CIAT) s’est senti obligé d’intervenir pour dénoncer les abus de pouvoir et exiger le calme et la sérénité à l’approche des élections.

Le malaise politique a été accentué par la prolongation jusqu’au 30 Juillet de la transition politique de 3 ans qui devrait prendre fin le 30 Juin 2006. Le Président de la Commission électorale indépendante (CEI), l’Abbé Malu Malu qui a fait cette prolongation n’a pas de compétence requise. Mais, il a le soutien de la Communauté internationale, du Président Joseph Kabila et ses alliés.

 Fracture politique nationale

Depuis lors la classe politique est divisée en deux camps : les partisans et les adversaires de la concertation préalable aux élections. La Conférence épiscopale catholique, par la bouche de son Président Mgr Monsengwo, ancien Président de la Conférence nationale souveraine (1992), exige une concertation politique des signataires de l’ " Accord Global et Inclusif " (AGI) de la transition avant la tenue des élections. Cette position rejoint celle de l’opposition politique représentée par le parti d’Etienne Tshisekedi de l’UDPS et ses alliés, auxquels se sont joints le MLC et la grande majorité des chrétiens catholiques et protestants. Le but de la concertation est de prolonger la transition légalement, sécuriser les élections, garantir un égal accès aux media et s’assurer l’acceptation des résultats des urnes. Il s’agirait, par ce biais, de garantir la paix durable en réaffirmant deux principes : le consensus et l’inclusivité.

A une question sur l’hostilité croissante à l’égard de la communauté internationale "Monseigneur Monsengwo dit :" Lorsqu’on considère la réaction des Congolais, cet énervement est dû au fait qu’ils ont l’impression que les jeux sont déjà faits, qu’on a déjà choisi qui gouverne le Congo et que le reste ne sert à rien. Il faut donc- pour calmer les esprits- que la classe politique et la société civile en discutent et dialoguent... Il faut qu’il y ait un consensus, avec un acte formel de la classe politique et de la société civile pour arriver à s’entendre sur l’après-30 Juin. Personne ne peut le faire tout seul unilatéralement. Nous alertons l’opinion car, si l’on n’y prend garde, nous risquons de préparer des turbulences. Mgr Monsengwo a fait une tournée en Belgique pour expliquer le bien fondé de ce dialogue. Abondant dans le même sens, le cardinal Etsou refuse à quiconque le droit de précipiter les élections pour faire le lit aux violences.

 Le CIAT a choisi son camp Les élections ne peuvent avoir une perspective démocratique que si elles sont le fruit d’un dialogue franc entre Congolais. La position de la Communauté internationale est surprenante. Loin de faciliter la tâche aux Congolais divisés entre partisans et adversaires de la concertation, des membres importants du CIAT ajoutent de l’huile au feu en prenant publiquement position dans ce débat. Carlo de Philippi, chef de la délégation européenne écrit : " En outre l’attitude d’une partie de la communauté internationale accentue cette tendance en donnant l’impression qu’elle soutient Joseph Kabila ". Il estime aussi que les membres de la Communauté européenne aujourd’hui divisés face aux acteurs congolais de la transition auront plus de difficultés à coordonner leurs efforts après les élections. L’attitude partisane du CIAT à la fin de la transition suscite des interrogations.

Réunis à Sun City, en Afrique du Sud, en 2001, les acteurs politiques congolais ont cru nécessaire, pour restaurer la paix et l’unité du Congo, de créer le "Comité international d’accompagnement de la transition" (CIAT) et d’en faire une institution de la transition démocratique. Une fois restaurées la paix et l’unité du Congo, cette institution est apparue cependant comme un facteur de crise et particulièrement à l’heure où, les acteurs politiques congolais ont besoin de son aide pour passer à l’étape supérieure : les élections.

 L’interpellation de Carlo De Filippi

"Depuis le début de la transition, la Communauté internationale n’a pas su ou pas voulu s’opposer aux manœuvres dilatoires des dirigeants congolais. De ce point de vue, l’installation au pouvoir, suite à Sun City, des anciens belligérants s’est révélée être une erreur tant elle a favorisé, sur fond de méfiance réciproque ; et les pratiques de corruption et de mauvaise gouvernance, et les manœuvres dilatoires et leur volonté de rester au pouvoir coûte que coûte ". Ces propos - c’est nous qui soulignons - ne sont pas d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba, président de l’ "Union pour la Démocratie et la Progrès Social "(UDPS), le plus grand parti d’opposition, mais de Carlo de Philippi, chef de la Délégation européenne. C’est un extrait de son rapport politique confidentiel, sur la République Démocratique du Congo, du 5 mai 2006.” Ecrit au moment critique de la crise de la transition démocratique congolaise, ce rapport constate - sans dénoncer, puisqu’il est confidentiel -l’irresponsabilité des dirigeants politiques congolais, mais aussi la complicité consciente ou non du CIAT dans la crise actuelle. Ce dernier a l’habitude de jouer au sauveur - Jésus - quand tout va bien, et de se laver les mains comme Ponce Pilate quand ça ne va pas. Le caractère confidentiel de ce rapport politique cache mal les responsabilités de la Communauté internationale.

 1+4 = 0 : le peuple persiste et signe

" Les pratiques de corruption et de mauvaise gouvernance, et les manœuvres dilatoires et leur volonté de rester au pouvoir coûte que coûte " ont été maintes fois dénoncées avec force par les Congolais eux-mêmes, mais la Communauté internationale a choisi de se taire ou de les condamner rituellement pour la forme. Au cours de la manifestation du 30 Juin 2005 organisée par l’UDPS, on entendait les masses crier le slogan " 1+4 = 0 ". Azarias Ruberwa, Président du " Rassemblement congolais pour la démocratie " (RCD) et Vice-Président de la République en charge de la Commission Politique, Défense et Sécurité avait tenu les mêmes propos, à Goma (à l’Est du Congo) et dans un mouvement de colère et de révolte consécutive au massacre de Gatumba. C’était au milieu de l’année 2004. Sur le fond, ces trois acteurs de la transition disaient la même chose successivement, à une année d’intervalle. On était donc prévenu de l’aggravation de la crise.

 EUFOR : aveu d’échec

Au moment où prend fin la transition, l’Union européenne vient au secours de la Monuc avec la Force européenne pour " dissuader les fauteurs de troubles ", pour reprendre l’expression d’Aldo Ajelo de l’Union européenne. Ce n’est pas un indice de succès. Comment comprendre cet échec de la transition ? Depuis Sun City, il a manqué au CIAT deux valeurs fondamentales pour la réussite de la transition démocratique : l’engagement pour la démocratie ou la gouvernance et la neutralité vis-à-vis des acteurs politiques congolais. De par sa composition, la " Communauté internationale d’accompagnement de la transition " (CIAT) est dominée par les Occidentaux (Les Etats-Unis et l’Europe) et notamment par les anciennes métropoles coloniales. Il s’agit des pays qui ont d’importants intérêts au Congo et qui ont combattu les patriotes, les démocrates et les nationalistes congolais depuis l’élimination physique de P. E. Lumumba, premier ministre élu, le 17 janvier 1961. Il s’agit des pays qui sont fort mêlés à l’histoire mobutiste et sanglante de ce pays. Il est difficile de se débarrasser de cette longue histoire de prédation qui a durablement marqué les pratiques et les attitudes des anciennes métropoles coloniales à l’égard du Congo et des Congolais.

 Prime aux belligérants

Depuis Sun City et Prétoria, le CIAT a consacré la suprématie des militaires (les belligérants) sur les civils. A travers les rebelles " congolais ", c’est avec leurs parrains étrangers qu’on négociait. Le CIAT a sacrifié le critère démocratique ou de gouvernance quand, après Sun City, il s’agissait de former le gouvernement. Ainsi, de par sa composition, le CIAT est congénitalement incapable de promouvoir la démocratie dans ce pays. C’est ce qui se voit depuis Sun City.

 La RDC sous la coupe des Occidentaux

1° Du fait d’avoir en son sein les anciennes métropoles coloniale, le CIAT, en tant qu’institution de la transition, ne pouvait faire un bon usage du droit d’ingérence dans les affaires intérieures du Congo, tant est forte la tentation de privilégier leurs immenses intérêts. Et donc de re-coloniser en favorisant les plus serviles des Congolais. Comment faire la médiation dans ces conditions ?

2° Après Sun City, bon nombre de diplomates occidentaux auraient tout fait pour écarter du gouvernement les partis ayant une large représentation populaire, les seuls intéressés à défendre la démocratie et l’intégration de l’armée .Il a ainsi manqué au gouvernement 1+4 une force politique interne de propulsion vers la démocratie. Arthur Zahidi Ngoma, Vice-Président de la République " représentant de l’opposition non armée ", n’a pas d’audience connue dans les masses populaires, Abdulaye Yerodia Ndombasi, également Vice-Président, est du parti du Président Kabila, le PPRD. Ainsi, de larges masses populaires ne se sentent pas représentées au gouvernement. Faut-il rappeler que pour combattre Patrice Emery Lumumba, premier ministre élu en 1960, les Etats-Unis, la France, la Grande Bretagne et la Belgique ont provoqué les sécessions au Congo ? Une fois éliminé physiquement Lumumba, ils ont restauré l’unité du Congo. En 1964, ils ont fait de Moïse Tshombe, ancien Président de la sécession du Katanga, une province congolaise, le premier ministre congolais. Pour combattre Mobutu, qu’ils ont propulsé au pouvoir et soutenu 32 ans durant, ils ont, à l’exception de la France et sous le couvert africain du Rwanda et de l’Ouganda, financé la guerre de 1996-97 et soutenu Laurent Désiré Kabila. Et pour faire pression sur ce dernier, devenu Chef d’Etat, ils ont, ensemble, provoqué et soutenu la guerre de 1998-2002. Une fois ce dernier physiquement éliminé, ils ont, sous la pression des populations congolaises - résistance des jeunesses Maï Maï - , décidé de restaurer l’unité du Congo. Et, comme en 1964, les anciens rebelles sont au sommet du pouvoir à Kinshasa. Ce sont des Vice-Présidents.

3° Les anciennes métropoles coloniales sont également parmi les pays qui assurent la formation des forces de répression : l’armée, la police et les services congolais de renseignements, qui relèvent du domaine sensible de souveraineté du Congo. La France s’occupe de la police et la Belgique de l’armée. La première s’est trouvée mêlée au conflit Hutu/Tutsi en 1994 et la deuxième, la Belgique, a fomenté de nombreux conflits ethniques au Congo dont le plus meurtrier au Kasaï en 1959. Elle a également élaboré une politique au Rwanda et au Burundi qui a servi de base au génocide dans les deux pays. La Belgique a la responsabilité non seulement morale, mais également politique de l’assassinat de Lumumba. Elle n’a en outre aucune expérience à apporter en matière d’intégration de l’armée.

4° Au niveau des élections, la communauté internationale, principalement les pays qui ont soutenu Mobutu, essaie de marginaliser les candidats les plus représentatifs de la population au profit des plus serviles à leurs intérêts. Certains diplomates du CIAT ont plusieurs fois manqué à un devoir de réserve en prenant rapidement position sur des questions où les Congolais devaient d’abord discuter entre eux, par exemple la question de la prolongation de la transition du 30 Juin au 30 Juillet, date fixée unilatéralement par le Président de la CEI dans une matière politique où il n’a pas de compétence.

 L’Eufor plus coûteuse que les concertations

Ces attitudes de la part des responsables qui étaient censés jouer le rôle de médiation et de réserve sur des questions sensibles n’ont fait qu’encourager les tensions entre les Congolais. A plusieurs reprises la position du CIAT a été justifiée par des raisons budgétaires. Il n’est cependant pas difficile de démontrer que la Force européenne (Eufor), 1600 hommes, à laquelle la Monuc a fait appel, coûte de loin plus cher que la concertation que désirent les Congolais. Ces derniers n’ont été associés ni à la conception ni à l’élaboration du projet de l’Eufor. Totalement ignorées, les autorités congolaises n’ont fait qu’avaliser. Leurs compatriotes ont suivi en spectateurs à la télévision un débat au parlement allemand sur une question concernant au plus haut point leur pays. Quelle frustration !

Ces attitudes de la part de certains membres du CIAT accréditent l’idée que Joseph Kabila est déjà choisi par les puissances occidentales comme Président de la RDC pour pouvoir couvrir les contrats léonins déjà signés et confirmer la suppression de la loi Bakajika ((la terre appartient à l’Etat), qui épargnait aux Congolais les cruels problèmes de terre qui se posent au Zimbabwe et en Afrique du Sud.

 L’exclusion de tous les dangers

L’enjeu de la concertation c’est le retour probable, dans le champ électoral, du leader historique de l’opposition, Etienne Tshisekedi wa Mulumba. Poussé à l’auto-exclusion par toutes sortes de manœuvres du pouvoir soutenu par la Communauté internationale, le leader de l’UDPS pratique le boycott des élections. Une situation qui arrange beaucoup Joseph Kabila, Général-Major des FARDC, héritier du trône de son père Laurent Désiré Kabila, assassiné le 16 janvier 2001 après trois ans et demi de pouvoir à la tête de l’Etat congolais. Joseph Kabila a de nombreux atouts : le soutien évident à l’Est du pays où il passe pour l’artisan de la paix, d’importants moyens financiers acquis dans la gestion opaque et discrétionnaire du pays, un soutien extérieur assuré. Tout cela ne l’empêche pas de craindre le face-à-face avec les autres ex-Belligérants et le retour d’un adversaire, non-violent, dépourvu du temps, de soutiens extérieurs et de moyens financiers pour faire la campagne électorale. Sans la concertation, qui jouit du soutien de la hiérarchie catholique et des deux vice-présidents, anciens rebelles, les résultats des élections ne seront probablement pas acceptés. Tout le problème est là !

2006-07-06

2006-07-09 (Bapuwa Mwamba)

BAPUWA tshimanga

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