Alors que la population gazaouie se fait massacrer sous nos yeux et que l’on déplore « l’impuissance » de la communauté internationale à faire cesser l’horreur, nous allons commémorer, le 7 avril, les 30 ans du génocide des Tutsi du Rwanda.
30 ans durant lesquels les rescapé·e·s et leurs proches survivent et cherchent à comprendre comment a pu se commettre le dernier génocide du XXe siècle sous les yeux « impuissants » de la communauté internationale.
30 ans, c’est la durée qu’il a fallu à la justice française pour ne condamner définitivement que 4 des génocidaires réfugiés en France sur la trentaine de dossiers en cours.
30 ans pour que le voile de la vérité soit parcimonieusement soulevé alors que l’exigence de vérité se fait de plus en plus pressante au fur et à mesure que le temps passe. L’ouverture partielle des archives et une prise de conscience du grand public suite à la parution du rapport Duclert sont des avancées, mais les aspects les plus sensibles pour la France restent opaques : qui a commis l’attentat du 6 avril 1994 qui a servi de signal déclencheur et de prétexte au génocide ? Qui a décidé de l’envoi de mercenaires au Rwanda en mai 1994 pour épauler les forces génocidaires ? Comment s’est décidé le réarmement des génocidaires réfugiés au Zaïre après le génocide ?
Il est indispensable que les citoyen·ne·s, militant·e·s, journalistes, chercheurs et chercheuses continuent le travail de recherche et de collecte de témoignages et de documents démarré il y a 30 ans par une poignée d’entre eux. Nous devons continuer à exiger l’ouverture et la communication de tous les fonds d’archives liés à cette période et aux relations avec le Rwanda. Seule une appréhension objective des faits et des décisions prises permettra la transformation du rapport de notre société à son histoire et peut-être, enfin, de sortir de l’« impuissance ».
Tant que la complicité de l’État français dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 ne sera pas reconnue, il y a fort à croire que la justice ne jugera que quelques génocidaires rwandais réfugiés en France mais que les responsables civils ou militaires français en poste en 1994 continueront à échapper à la justice. Aujourd’hui, cette question disparaît du débat public et le réchauffement des relations avec le Rwanda en 2021 sans même que soit évoqué le respect des droits humains au Rwanda semble nous ramener à une configuration françafricaine standard : pouvoir autoritaire garant de la « stabilité », coopération civile et militaire, zone d’influence, business.
De même, en dépit des discours rassurants sur les concertations franco-africaines menées par Jean-Marie Bockel, « l’envoyé personnel » du président Macron, le fonctionnement de l’État français et le présidentialisme du pouvoir continuent de laisser au seul chef de l’État la décision de « reconfigurer les dispositifs de défense » au gré des intérêts stratégiques de la France en Afrique et au détriment du droit des populations à choisir leur destinée. Les déclarations de Jean-Marie Bockel au Tchad, assurant, au sujet de la présence militaire française et au lendemain de l’assassinat d’un opposant politique : « il faut rester et, bien sûr, nous resterons », sont à cet égard révélatrices.
30 ans après, le plus inquiétant reste que la structure des institutions de la Ve République ayant conduit au désastre en 1994 est toujours en place, l’idéologie raciste et coloniale imprègne toujours les hauts responsables civils et militaires, mais aussi une part significative de la population française qui vote et exprime de plus en plus massivement son adhésion à ce cloaque idéologique.
30 ans après, il est temps que cela change.
Martin David