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Génocide des Tutsi : le silence du quinquennat Hollande

Publié le 7 avril 2017 - Survie

Le quinquennat de François Hollande s’achève sur la persistante incapacité de nos gouvernants à reconnaître la complicité de l’Etat français dans le génocide des Tutsi. Ce silence officiel est le terreau d’un négationnisme virulent, bénéficiant dans notre pays de relais politiques, médiatiques et éditoriaux dont certaines manifestations récentes ne manquent pas d’inquiéter.

Le quinquennat précédent avait été celui d’une reconnaissance du génocide des Tutsi du Rwanda par le ministère des Affaires étrangères en 2009 et d’une reconnaissance publique inédite, bien que très insuffisante, par Nicolas Sarkozy en visite officielle à Kigali en 2010, « des erreurs d’appréciations, des erreurs politiques » commises par la France. Rien de tel au cours des cinq dernières années, qui ont vu au contraire une régression dans la parole politique sur le génocide. Le gouvernement a endossé sans ambiguïté la politique conduite au Rwanda entre 1990 et 1994, Manuel Valls réfutant des « accusations injustes » à l’Assemblée nationale le 8 avril 2014 et Jean-Yves Le Drian parlant « d’accusations inacceptables qui ont été proférées à l’encontre de l’armée française ».

L’annonce, le 7 avril 2015, d’une déclassification de certaines archives de l’Elysée a eu un retentissement médiatique important mais un effet très relatif car la plupart des 83 documents déclassifiés étaient en réalité déjà connus. Loin des médias, trois ministères (Matignon, Affaires Etrangères, Défense) et les Archives Nationales ont levé la protection sur des centaines d’autres documents. C’est une avancée réelle, mais des blocages existent encore, puisque ces archives ne deviendront communicables publiquement qu’après un délai de 50 ou 60 ans, et qu’en attendant, la consultation est soumise à une dérogation dont l’octroi a pu sembler arbitraire aux chercheurs qui en ont fait la demande. De plus, de nombreux documents, notamment les archives de certains conseillers militaires, sont encore inaccessibles, alors qu’ils seraient probablement les plus utiles pour faire toute la lumière sur le rôle de la France.

Sur le plan judiciaire, le travail du Pôle d’instruction « crimes contre l’humanité et crimes de guerre » a permis la tenue de trois procès d’assises en 2014 et en 2016 qui se sont soldés tous les trois par de lourdes condamnations pour génocide (Pascal Simbikangwa en première instance et en appel, Tito Barahira et Octavien Ngenzi). Mais si les instructions semblent avancer sans frein politique, on peut déplorer qu’après une première période de renforcement des moyens du Pôle, le nombre de juges et d’enquêteurs ait été réduit. Les associations doivent donc rester mobilisées et par leurs demandes d’actes permettre aux instructions d’avancer, notamment dans les instructions mettant potentiellement en cause des militaires français de Turquoise (ouverte en 2005) ou l’ancien gendarme de l’Elysée Paul Barril (ouverte en 2013) qui n’ont pas connu, elles, d’avancée significative. Quant au parquet, il paraît toujours aussi réticent à initier lui-même des poursuites.

Les preuves et les accusations de complicité française dans le génocide des Tutsi se sont multipliées au cours des dernières années, mais l’exécutif français continue de faire le choix du silence ou de la dénégation. Un choix dont les conséquences sont dangereuses, puisqu’il laisse libre court au négationnisme du génocide des Tutsi, qui s’exprime récemment et plus que jamais (par exemple dans Le Un du 1er février 2017 ou dans le tout récent ouvrage de Filip Reyntjens, Le génocide des Tutsi au Rwanda, paru dans la prestigieuse collection Que sais-je ?) par une focalisation de l’attention sur l’attentat du 6 avril 1994, son attribution au FPR et donc des insinuations visant à faire croire que le FPR serait responsable, moralement au moins, du génocide. Le but est de faire oublier que c’est un gouvernement soutenu jusqu’au bout par la France qui commettait le génocide, et que c’est le FPR qui y a mis fin. Tout laisse à craindre que voici revenu le temps des « assassins de la mémoire ».

Il nous semble qu’il y a aussi des raisons d’espérer, bien que les négationnismes et les freins à une justice courageuse soient toujours bien présents dans notre société. La prise de conscience de plus en plus large de ce qui s’est réellement passé progresse. Continuer dans ce sens, nous le devons aux rescapés et aux victimes pour qu’elles puissent retrouver leur dignité et toute leur humanité. Nous nous le devons aussi à nous-mêmes pour pouvoir avancer et rester fidèles au « Plus jamais ça ».

En cette vingt-troisième commémoration du génocide des Tutsi du Rwanda, l’association Survie demande :

 La reconnaissance officielle par l’Etat français du soutien actif apporté par la France aux génocidaires avant, pendant et après le génocide des Tutsi, en connaissance de cause.

 Un renforcement des moyens du Pôle « crimes contre l’humanité et crimes de guerre » et un réexamen de la position de la Cour de cassation qui refuse systématiquement toute extradition vers le Rwanda.

 La communication immédiate aux magistrats instruisant des dossiers mettant potentiellement en cause des Français (attentat du 6 avril 1994, plaintes de rescapés Tutsi contre des militaires de l’opération Turquoise, plainte contre Paul Barril) de tous les documents classifiés et autres pièces à conviction détenus par les autorités françaises.

 L’abrogation de l’article 18 de la Loi de Programmation militaire de 2013 réservant au seul parquet le monopole des poursuites à l’encontre de militaires français en opération extérieure.

 Une réforme de la loi sur le secret-défense qui permette l’ouverture complète et concrète des archives, y compris celles des militaires : conseillers de François Mitterrand, état-major, Service Historique de la Défense.

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