Survie

RAPPORT BRUGUIERE. Dossier spécial de Billets d’Afrique n° 153 (Décembre 2006)

(mis en ligne le 28 novembre 2006) - Sharon Courtoux

L’affaire Bruguière

- En amont

René Degni Ségui, rapporteur spécial de l’Organisation des Nations Unies sur le génocide des Tutsi commis au Rwanda en 1994, a été chargé, le 25 mai 1994, d’enquêter sur l’attentat contre l’avion de Juvénal Habyarimana dans la foulée de l’enquête qu’il a menée sur le génocide. Lorsqu’il a prié l’ONU de lui fournir les moyens indispensables à cette fin, il s’est entendu répondre qu’il n’y avait pas de budget pour cette investigation - ce dont il a témoigné publiquement devant la mission d’enquête sénatoriale belge. Ahurissant mais vrai : un tir de missile abat l’avion dans lequel se trouvent deux chefs d’État, celui du Rwanda et celui du Burundi, à la suite de quoi un génocide, dont on connaissait les préparatifs, a été mis à exécution, sans que la communauté internationale juge nécessaire d’en savoir davantage. Aucun État n’est intervenu pour exiger qu’elle honore son évidente responsabilité. La France, dont le soutien au régime qui a commis le génocide est avéré, s’en tient à son exercice qui consiste à éluder cette complicité, et à accuser de ce qu’elle aurait pu et dû empêcher les victimes d’un processus historique dans lequel elle a joué un rôle funeste (au sens propre : qui cause la mort).

- Aujourd’hui

Notre pays est engagé dans un bras de fer avec le Rwanda dont on ne sait ce qu’en sera l’aboutissement. Le Rwanda a rappelé son ambassadeur à Paris pour consultation, laissant entendre qu’il pourrait rompre ses relations diplomatiques avec la France, puis, le 24 novembre, Kigali a annoncé la rupture. Á l’origine de cette "crise" se trouve l’enquête du juge Jean-Louis Bruguière (rendu publique le 20 novembre) sur l’attentat contre l’avion de l’ancien président rwandais, dans lequel les 3 membres français de l’équipage ont perdu la vie, dans le cadre de la plainte déposée par les familles de ces derniers. Le magistrat recommande des poursuites devant le TPIR contre l’actuel président rwandais Paul Kagamé, et il vient de signer, avec l’aval du parquet parisien, des mandats d’arrêt internationaux contre 9 collaborateurs de ce dernier, dont le chef d’état major James Kabarebe. L’enquête Bruguière attend dans un tiroir depuis environ deux ans une éventuelle utilisation [cf. la « Troisième esquive », celle de l’audition de Grégoire de Saint-Quentin à Arusha, ci-dessous]. De longue date tenue en réserve, elle jaillit sur le terrain dans un contexte politique dans lequel la vérité, la justice, et l’entente internationale en sont pour leurs frais, comme en écho des procédures ouvertes devant le Tribunal aux armées de Paris (TAP) à la suite de plaintes de rescapés du génocide visant des militaires français, et de la commission d’enquête rwandaise sur la complicité française avec les organisateurs du génocide. Récemment, le président de la commission, Jean de Dieu Mucyo, a déclaré publiquement que si la France savait « faire un geste » (demander pardon), l’ensemble du dossier pourrait retourner à l’histoire et la relation franco-rwandaise reprendre. On peut penser ce que l’on veut de cette suggestion. On ne peut que constater que la réponse a été donnée via Bruguière.

L’enquête de ce dernier, rapportée dans un document de 64 pages, n’apporte rien de nouveau sur la connaissance des faits, ni sur ce qui circulait concernant son contenu depuis longtemps. Il s’agit d’une enquête qui ne peut être considérée comme impartiale, qui se fonde sur ce que rapportent des militaires ou services français, sur les affirmations connues d’anciens militaires de l’Armée patriotique rwandaise (APR) dont les dires n’ont pas été vérifiés, et sans que le juge d’instruction se soit rendu au Rwanda afin de procéder à ces vérifications. Entamée en 1998 lors du déroulement de la mission parlementaire d’information sur le Rwanda - il y a huit ans ! - tout semble indiquer qu’elle n’avait pas pour objectif de faire la lumière sur l’attentat du 6 avril 1994. Pire : ce rapport écarte l’hypothèse d’un attentat commis par les Forces armées rwandaises (FAR) au mépris de révélations passées (lire l’analyse de Patrick de Saint-Exupéry ci-dessous).

- Sait-on, pour autant, aujourd’hui, qui a commis l’attentat du 6 avril 1994 ?

Non. Seule une enquête internationale indépendante et impartiale, initiée sous l’égide de l’ONU peut, et doit, en faire la lumière. Il serait temps de l’exiger, et de l’obtenir. Sa sous-traitance entre les mains d’un juge français aux ordres du politique n’est pas tolérable.

Il est également intolérable de constater les confusions jetées dans la compréhension d’une question qui concerne l’humanité toute entière, et bien entendu tous les Rwandais qui doivent bâtir un avenir à la suite du drame qui les a atteint et dont ils ne sont pas les seuls responsables. Le génocide, le processus historique qui l’a précédé, l’attentat, ses intentions, ses conséquences, la responsabilité de la communauté internationale et celle de ses membres... ne peuvent être compressés dans un paquet signé Bruguière.

Oui, décidément, la vérité et la justice en sont pour leurs frais. Au nom des victimes du génocide, il reste du devoir des citoyens français d’exiger qu’elles soient mises à l’ordre du jour, au détriment de tous les calculs, cynismes et mensonges.

[Sharon Courtoux]


L’enquête esquivée par trois fois

Pour la troisième fois la France évite de devoir rendre compte de ce que des français ont fait au moment de l’attentat du 6 avril 1994 au Rwanda.

Plusieurs questions se posent à propos des conclusions du juge Bruguière.
Les familles des pilotes de l’avion d’Habyarimana ont attendu trois ans et demi avant de porter plainte. C’est un délai très long qui ne s’explique que par des conseils de prudence et de patience qui leur auraient été donnés. Par qui et pourquoi ?

- Première esquive

Une première réponse, donnée par le juge, serait que les familles auraient attendu une enquête internationale. C’est possible. Quand la France a-t-elle demandé cette enquête ? Membre permanent du Conseil de Sécurité, la France est coresponsable de la décision qui a refusé que des fonds soient débloqués pour concrétiser cette enquête dont Monsieur Degni-Segui fut chargé par l’ONU en 1994.

Selon cet enquêteur de l’ONU, qui a déposé le 17 juin 1997 devant le Sénat de Belgique, l’armée française et les FAR se sont renvoyé la balle pour éviter de lui donner les éléments d’enquête de terrain qu’elles auraient prélevés dès le 6 avril 1994.

- Seconde esquive

Le parlement français a reconnu en effet, à la suite de ses auditions en 1998, que le Colonel Grégoire de Saint-Quentin était dès les premières heures qui ont suivi l’attentat sur les lieux du crash. On sait aussi que le Capitaine Barril fut chargé de cette affaire par la famille Habyarimana et que les débris de l’avion seraient tombés dans le jardin de la propriété présidentielle, donc accessible à la famille.

Y a-t-il eu d’autres demandes françaises pour une enquête internationale ? Nous n’en connaissons pas.

Cette information en provenance de Belgique aurait-elle déclenché la plainte des familles puisqu’elle est déposée le 31 août 1997, deux mois et demi après la déclaration de l’enquêteur de l’ONU ? C’est probable. On attend ensuite le 27 mars 1998, sept mois, pour répondre favorablement, c’est à dire trois semaines après la décision de créer la mission d’information parlementaire française sur le Rwanda. Le premier effet de cette décision sera de soustraire le Capitaine Barril au devoir de répondre aux questions des députés français. Il aurait réservé ses réponses au juge Bruguière.

- Géopolitique judiciaire

Le deuxième effet de cette décision se fera sentir devant le TPIR en 2000-2001 mais n’aboutira pas : coincer le Front patriotique rwandais (FPR), et donc Paul Kagame, qui ne cesse de rappeler les responsabilités de la France au Rwanda.

On se souvient que Louise Arbour, magistrate canadienne et procureur du TPIR, avait permis à ce tribunal de décoller après des débuts difficiles. Mais elle souhaitait faire un procès global d’une trentaine de prévenus pour faire ressortir l’entente en vue de commettre le génocide. Ce projet, pourtant sensé, pour apprécier les caractéristiques juridiques du génocide, fut combattu et Louise Arbour échoua et céda la place à Carla del Ponte, magistrate suisse réputée pour sa détermination, en septembre 1999.

À partir de la nomination de Carla del Ponte, le juge Bruguière fera le siège de cette juridiction et de son procureur à plusieurs reprises, à La Haye et à Arusha, pour tenter de les convaincre d’instruire à charge contre le président du Rwanda sur la question de l’attentat. Si c’est le FPR ce n’est personne d’autre. « La meilleure défense c’est l’attaque » ? Le procureur fera des déclarations qui laisseront quelques espoirs à certains. Un rapport d’une page, trois avec les pages de garde, initiative privée d’un fonctionnaire de l’ONU, Mickaël Hourigan, viendra opportunément soutenir la démarche du juge français. À cette époque un autre soutien tout aussi opportun vint d’un mystérieux "network commando" en exil désignant le FPR auteur de l’attentat. On en entendra parler. « Paul Kagamé est le coupable ».

Carla Del Ponte a en outre précisé la position officielle du parquet du TPIR concernant l’enquête sur l’attentat contre l’ancien président rwandais, Juvénal Habyarimana :

« Est-ce que nous avons une juridiction pour ouvrir une enquête sur l’abattement de cet avion ? Est-ce que ça constitue un acte de préparation de génocide ? Apparemment ça va dans cette direction, mais naturellement si on n’a pas établi qui sont les auteurs de ce crime, c’est difficile d’en savoir plus. Comme vous savez, le juge Bruguière, le juge d’instruction à Paris a ouvert une enquête cette année, [...] Moi je coopère avec le juge Bruguière, il va d’ailleurs revenir bientôt à Arusha pour de nouvelles auditions, et naturellement, je suis de très près cette enquête parce que les résultats me permettront de décider si le bureau du procureur de ce Tribunal doit ouvrir une enquête lui-même [...]. Avec le juge Bruguière je viens d’avoir une rencontre à La Haye ; je pense qu’au début de l’année on pourra faire une décision motivée [...]. » [Fondation Hirondelle, 13/12/2000].

Le Rwanda bloquera les procès du TPIR en soustrayant aux auditions les témoins rwandais. Carla del Ponte devra se résoudre à refuser l’initiative française. L’enquête ne sera pas ouverte. Mais on assistera à de multiples tentatives de fragmentation et réduction des responsabilités dans le génocide, voire même de négation du génocide au sein du processus juridique, notamment par la volonté d’imposer l’idée du double génocide et la responsabilité du FPR dans le génocide. Le TPIR résistera.

Le juge Bruguière décida de changer son fusil d’épaule. Il "découvrit" en 2003 un nouveau témoin du "Netwok commando" encore plus bavard et confirmant les dires des premiers, Abdoul Ruzibiza. Il aurait fait partie du "fameux" network commando, il sait qui a tiré les missiles.

C’est en mars 2004, que le juge dévoile son nouvel axe de bataille, via Stephen Smith dans Le Monde. Ruzibiza confirme que c’est bien le FPR et Paul Kagame qui seraient les auteurs de l’attentat. La publication des conclusions serait imminente.

L’information sort au moment où le président du Rwanda est en visite officielle en Belgique, un mois avant le dixième anniversaire de la commémoration du génocide. Bruguière a comme lancé un juron au milieu du recueillement des rescapés, alors qu’ils attendent des excuses de la France. Kagame répliquera par une gifle publique qui renverra la diplomatie française à Paris.

- Troisième esquive

Pourtant il fallut attendre Novembre 2006 pour que le juge mette en pratique sa menace. Pourquoi ? La France est en situation critique. Plainte de Rwandais devant le tribunal aux armées, travaux de la commission nationale rwandaise sur l’implication de la France, et surtout le Juge Bruguière n’a pas oublié la menace que représente le TPIR pour la France à cause de la détermination du FPR et des “anglo-saxons”.

Visiblement quelque chose s’y joue qui concerne la France. Le Colonel de Saint-Quentin, qui a probablement prélevé les éléments matériels de l’attentat sur le terrain le 6 avril 1994 est convoqué par la défense d’un militaire présumé génocidaire. Le TPIR a obligé la France à répondre favorablement à cette demande. Dans la semaine qui débute le 20 novembre 2006, le général Dallaire doit aussi témoigner des premiers jours du génocide. Il s’agit bien de la période précise où a eu lieu l’attentat. La France entoure le témoignage de Grégoire de Saint-Quentin de précautions draconiennes. Pourquoi ?

Le juge Bruguière publie ses conclusions le 21 novembre 2006. Le même jour les autorités françaises annoncent que Grégoire de Saint-Quentin ne se rendra pas à Arusha « pour raison de sécurité ». La France a encore évité de devoir rendre compte de ce qu’on a fait au moment de l’attentat.

Mais le plus frappant vient de la lecture attentive des conclusions du juge Bruguière : les faits matériels sur lesquels il se base, les deux missiles numérotés, ont déjà été analysés soigneusement par les députés français en 1998. Il s’agit des mêmes missiles et les députés avaient conclu que ces faits ne permettaient pas de prouver l’implication du FPR. Cette entêtement incompréhensible rappelle les irlandais de Vincennes !

Et maintenant ? Le TPIR ferme ses instructions en 2008... ça va peut être passer ?

[Emmanuel Cattier, membre de la Commission d’enquête citoyenne sur le Rwanda www.enquete-citoyenne-rwanda.org]


Le Figaro

Enquête sur la mission du juge Bruguière (Patrick de Saint-Exupéry), 25/11

« [Jean-Louis Bruguière] a initialement étudié “cinq hypothèses”, mais s’est très vite trouvé dans l’obligation, affirme-t-il, de n’en retenir qu’une.

D’un trait de plume, il explique avoir balayé l’éventualité d’un attentat réalisé par des Hutus appuyés par l’ancienne armée rwandaise (FAR) : “S’agissant des FAR, écrit-il, il a pu être établi qu’elles étaient mal équipées et peu entraînées (...) qu’au surplus, elles ne disposaient que de faibles moyens antiaériens et n’avaient pas de missiles.” Ce point est déterminant : l’attentat du 6 avril 1994 aurait été réalisé avec deux missiles Sam 16.

Le problème, et il est de taille, est que l’affirmation du magistrat a été contredite. Jean-Louis Bruguière paraît écarter d’emblée des pistes ouvertes par les parlementaires français. Dans leur rapport, publié à la fin de la mission d’information, ils notent que l’armée rwandaise dispose en 1994 de 40 à 50 missiles Sam 7 et de 15 Mistral. [...]

Lors de son témoignage face à la cour d’Arusha, le colonel Théoneste Bagosora, accusé d’avoir été “le cerveau du génocide”, avait également contredit l’affirmation du juge Bruguière. Sur la base de pièces à conviction, l’ancien commandant du bataillon antiaérien à Kigali en 1992 avait admis que les autorités rwandaises de l’époque s’étaient portées acquéreurs de missiles Sam 16. L’hypothèse sur laquelle a travaillé le juge Bruguière n’est pas à écarter. Mais d’autres restent à explorer. »


Agence Hirondelle (Arusha)

Le porte-parole du TPIR récuse l’enquête du juge Bruguière , 23/11 :

« Selon [Everard O’Donnell, porte-parole du TPIR], des preuves ont été apportées au TPIR que les missiles qui ont détruit l’avion du président rwandais avaient été tirés depuis la zone sous contrôle des forces armées rwandaises. [...]

Nous sommes de l’avis que ce n’est pas l’attentat qui a créé le génocide” a dit O’Donnell. Selon lui le statut du tribunal ne permet de juger que les incriminations de génocide, de crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. “L’assassinat d’individus n’est pas du ressort du tribunal” a-t-il dit. Le porte-parole a précisé que le procureur du TPIR n’avait rien reçu du juge Bruguière et qu’en ce qui concernait ses enquêtes, même le conseil de Sécurité des Nations Unies “n’avait rien à lui dire.” »

[Pour résumer l’affaire du rapport Bruguière : il écarte une hypothèse majeure pour faire croire à la certitude de la culpabilité unique du FPR, et dès qu’il est rendu public, il est exploité par les autorités françaises pour esquiver la très gênante audition du Colonel Saint-Quentin devant le TPIR. - Pierre Caminade, rédacteur en chef de Billets d’Afrique]


Ma lecture de Ruzibiza (Rwanda "L’histoire secrète")

Par Emmanuel Cattier, Membre du comité de pilotage de la Commission d’enquête citoyenne (CEC) pour la vérité sur l’implication française dans le génocide des Tutsi (www.enquete-citoyenne-rwanda.org)

D’après un couple rwandais qui m’affirme avoir fréquenté Abdoul Ruzibiza après le génocide, le témoignage de Ruzibiza serait un montage de toute pièce, dont l’évocation les plonge dans un état goguenard. Ruzibiza n’aurait, par exemple, jamais exprimé devant ses connaissances l’idée qu’il y aurait eu un génocide des Hutu, comme il le dit dans son livre.

Réfugié Tutsi au Burundi avant de rejoindre le FPR, Ruzibiza n’aurait pas pu avoir la confiance de Kagame pour participer à une opération aussi secrète qui aurait été réservée au petit cercle des réfugiés d’Ouganda. Simple aide-soignant dans le maquis à Ruhengeri, il n’aurait jamais été dans le bataillon FPR installé au CND par les accords d’Arusha. D’autre part la multiplicité des personnes évoquées par Ruzibiza qui auraient eu à connaître de cette affaire leur semble absurde car une opération de cette envergure, si hautement sensible, aurait été nécessairement entourée du plus grand secret et connue d’un très petit nombre de personnes. Ils font remarquer que même des officiers de l’APR ne savent pas, quinze ans après, comment le chef historique du FPR, Fred Rwigema, a été tué le 2 octobre 1990...

Pour ma part, je ne peux que remarquer que le témoignage de Ruzibiza ne laisse apparaître aucune difficulté importante à aller et venir du CND à Masaka pour effectuer ce tir de missiles. C’est hautement improbable. Cette zone était quadrillée par la garde présidentielle rwandaise et il est impossible que le "network commando" n’ait eu qu’à cacher les missiles dans une camionnette sous quelques bâches !

Aucune anecdote ne ponctue ce récit d’une pauvreté laconique, comme si on avait voulu éviter la moindre évocation de détails facilement contestables sur l’environnement local... ou plus bêtement, comme si cela avait été écrit pas des gens sans grande imagination littéraire pouvant se substituer à une expérience authentique.

D’une manière générale, le style d’écriture n’est absolument pas rwandais. C’est d’une fadeur grise de tiroir occidental tiré d’un vieux bureau métallique où traine une vague odeur de cendrier et quelques bouts de papiers. Un exemple parmi mille, pour la reconnaissance des lieux, il raconte qu’ils utilisaient des motos : "ceux qui les conduisaient s’habillaient en tenue d’agronome et portaient des casques cachant le visage pour n’être pas reconnus. Deux véhicules ont été utilisés dans les derniers jours avant l’attentat : un minibus, souvent conduit par un dénommé Jean-Marie Munyankindi, et une camionnette, conduite par Paul Muvunyi. Celui-ci a d’ailleurs changé la peinture de la camionnette et porté sur les portières l’inscription : "Commune de Kanombe". Tout cela pour éviter les soupçons", page246. Page 248 : "le jour de l’attentat [...] la camionnette Toyota 2200, conduite par le sergent Didier Mazimpaka, avait déposé les deux missiles à Masaka sur le lieu du tir. Le véhicule a aussi fait plusieurs fois le tour du rond-point, ensuite il est sorti vers Remera. En attendant l’arrivée imminente de l’avion présidentiel, ledit véhicule effectuait des va-et-vient entre Kabuga-Nyagasambu et la localité connue sous le nom de 15° (km)"... Et les barrages de contrôles d’identité ?! Est-ce crédible ?. Et ça dure 500 pages comme cela "l’histoire secrète" du Rwanda !

Tout au long du livre on a l’impression qu’on veut montrer tout ce qu’on sait de l’extérieur sur le FPR, mais nulle part on n’a l’impression d’un récit raconté par quelqu’un qui a vécu ces événements de l’intérieur.

Cette multiplicité incroyable d’informateurs au courant de l’attentat contredit complètement la réputation que les "français biens informés" veulent donner par ailleurs de Kagame : chef secret, cruel et inflexible qui tue tous ceux qui le trahissent...

Quelle peut être l’origine de ce bluff manifeste ? Quoi qu’il en soit, Claudine Vidal, André Guichaoua, Pierre Péan et le juge Bruguière ne font pas preuve d’un grand sens critique dans cette affaire. Mais chacun d’eux n’a sans doute pas le même niveau d’implication dans ce que je considère comme une vaste supercherie.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 153 - Décembre 2006
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