Survie

Colonialisme : Enfants volés

rédigé le 10 octobre 2020 (mis en ligne le 10 janvier 2021) - Thomas Noirot

Le numéro d’automne de la Revue Dessinée, spécialisée dans la publication d’enquêtes sous forme de BD, permet de se plonger dans cette histoire de « transplantation » forcée d’enfants réunionnais vers d’autres départements français

C’est un sujet peu connu, ou alors sous son surnom des « enfants de la Creuse », lequel contribue à invisibiliser l’outre-mer : plus de 2000 mineurs furent arrachés de force à l’île de La Réunion par les institutions de la Vème République. C’est parce qu’un sur dix fut placé dans la Creuse, supposée souffrir d’un déficit démographique, que ce département s’impose dans ce surnom. Mais il s’agit bien d’une affaire coloniale.


Le récit en dessins de cette enquête a le mérite de mêler l’histoire personnelle, traumatique, de certains de ces enfants devenus adultes ; et les mécanismes institutionnels et les motivations stratégiques qui sous-tendent cette politique, en explicitant également ses prolongements actuels.
Grâce aux archives d’un rapport officiel remis à la ministre des Outre-mer Annick Girardin le 10 avril 2018, on y découvre le rôle d’un personnage central de l’histoire de la Françafrique : Michel Debré. Il est l’un des rédacteurs de la Constitution de la Vème République, Premier ministre de De Gaulle de 1958 à 1962, donc de la mise en place de la Communauté française qui remplace en 1958 l’Union française, jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie, en passant par les différentes indépendances factices des colonies d’Afrique subsaharienne. Il est ensuite parachuté comme candidat gaulliste pour les législatives de 1963 à La Réunion, dont il devient député jusqu’en 1988.
Après l’échec de la Communauté française et la victoire du FLN en Algérie (et alors que la guerre contre l’UPC se poursuit au Cameroun), le contexte économique et social de l’île de La Réunion, départementalisée depuis 1946, risque de devenir le terreau de nouveaux mouvements indépendantistes. Des prévisions démographiques alarmistes (qui révèlent au passage un cliché colonial toujours en vogue aujourd’hui au sujet de l’Afrique) poussent les responsables politiques, Michel Debré en tête, à organiser des transferts massifs de mineurs vers la « métropole », qui ne connaît pas encore le chômage et va avoir besoin de bras. Surtout que, comme le rappellent les autrices de l’enquête, des émeutes ont lieu à la Martinique en 1959, d’autres auront lieu à la Guadeloupe en 1967 (cf. Billets n°267, mai 2017) : les confettis de l’Empire français ne sont pas épargnés par les luttes sociales – donc indépendantistes.
Habillée de motivations paternalistes visant à offrir un avenir meilleur à des enfants pauvres arrachés à leur famille par les services de l’Aide sociale à l’enfance, une politique cynique se met donc en place, confiée au Bumidom, le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer français créé en 1963 (cf. Billets n°293, janvier 2020). Plus d’un demi-siècle plus tard, l’État français a fait un petit pas dans la bonne direction, celle de la reconnaissance. Mais depuis les premières annonces de 2017 et 2018, les associations d’anciens enfants transplantés se heurtent à un mur.


En attendant, le Bumidom a été rebaptisé LADOM, l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité, qui chapeaute toujours le Comité national d’accueil et d’action pour les Réunionnais en mobilité (CNARM). C’est une des forces de ce reportage de la Revue Dessinée  : montrer la filiation entre cette histoire et les politiques de « mobilité » toujours menées dans l’île, moyennant un matraquage publicitaire qui surfe sur l’imaginaire colonial.
Thomas Noirot
La Revue Dessinée n°29, automne 2020, 16 euros. Disponible en kiosques et librairies. Illustrations reproduites avec l’aimable autorisation de la Revue Dessinée.

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