Survie

« Nous resterons… » Jusqu’à quand ?

(mis en ligne le 22 mai 2024) - Raphaël Granvaud

Jean-Marie Bockel a donc rendu visite aux présidents de la Côte d’Ivoire, du Tchad et du Gabon. L’« envoyé personnel » d’Emmanuel Macron était chargé d’expliquer aux présidents africains la volonté française de « changer le statut, le format et la mission des bases françaises en Afrique » tout en restant « à l’écoute de leurs besoins », selon sa lettre de mission. Qu’importe si deux des présidents qui doivent entériner la continuation d’une présence militaire étrangère, sont à la tête de régimes censés n’être que « de transition ». Ce ne sera pas la première fois.

Au Tchad, le message des autorités françaises était d’ailleurs sans ambiguïté : Bockel y a fait part à la presse présidentielle de « l’admiration » de la France « pour le processus » que le général Mahamat Idriss Déby Itno, fils du dictateur Idriss Déby Itno, « a engagé au sein de son pays ». Un processus marqué par le massacre et l’emprisonnement de plusieurs centaines de personnes et l’enterrement de la promesse initiale de rendre le pouvoir aux civils. Les déclarations de Bockel surviennent aussi juste une semaine après l’élimination physique du principal rival politique (et cousin) du chef de l’État, Yaya Dillo Djérou. Un sens du timing très françafricain… et une manière d’avaliser à l’avance le putsch électoral à venir en échange du maintien de la dernière présence militaire française au Sahel. « Bien sûr, il faut rester et nous resterons », a asséné Bockel.

Certes, la position française n’est pas une surprise. En avril 2021, les déclarations d’Emmanuel Macron contre « un plan de succession » dynastique au Tchad, alors qu’il venait d’adouber la prise de pouvoir du fils Déby, n’avaient trompé personne. La seule nouveauté, c’est que le cynisme et la realpolitik sont désormais officialisés. « Le président Macron m’a demandé de travailler (…) en tenant compte de la spécificité du Tchad », a expliqué Bockel. Les signes ostensibles de rapprochement entre le Tchad et la Russie ont visiblement porté leurs fruits à Paris.

L’« envoyé personnel » du président français ne s’est pas encore rendu au Sénégal, pays qui abrite également une implantation militaire française, dédiée à la coopération régionale. La crise politique ouverte par les manigances électorales du président sortant Macky Sall s’y est dénouée à la faveur de la victoire éclatante de l’adjoint d’Ousmane Sonko, Bassirou Diomaye Faye, sur laquelle nous reviendrons. Emmanuel Macron a immédiatement adressé ses « félicitations » et « tous ses vœux de réussite » au candidat de la rupture. « Je me réjouis de travailler avec lui », a encore assuré celui qui n’avait pourtant jamais émis ne serait-ce qu’une réserve contre la dissolution du parti PASTEF et l’incarcération arbitraire pendant dix mois de Diomaye Faye, passé presque sans transition de la prison à la présidence. Un enthousiasme évidemment surjoué, pour faire oublier la proximité avec le régime de Macky Sall et conjurer le scénario d’une nouvelle remise en cause des instruments de la puissance africaine de la France. Le programme de Diomaye Faye, qui se définit comme « porteur d’un panafricanisme de gauche », inclut en effet la sortie du franc CFA et la remise en cause de la présence militaire française. Du programme électoral à l’exercice du pouvoir, on sait qu’il peut y avoir des hiatus. Mais une chose paraît acquise : l’exigence populaire d’un profond changement ne permettra plus qu’un responsable français vienne déclarer : « Bien sûr, il faut rester et nous resterons ».

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 336 - mai 2024
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