Survie

8 novembre 2008. Des ponts pas des murs ! Tribune signée par les groupes locaux des Pyrénées Atlantiques de Terres des Hommes, Cimade, Survie, Attac et CCFD

Publié le 8 novembre 2008

Des ponts pas des murs !

Ce samedi de novembre, ils sont deux en gare d’Hendaye à attendre le train pour Bayonne. Un français, un coréen. Ils sont heureux. Ils reviennent de Saint-Jacques de Compostelle après avoir fait le fameux « camino ». Deux policiers s’approchent et, sans un mot, menottent le coréen. « Mais que faites-vous ? » s’interpose l’autre aussitôt menacé : «  taisez-vous, où on vous embarque aussi ! ». Le Coréen qui ne parle pas un mot de français est ainsi conduit vers un « interrogatoire » au centre de rétention tout proche.

Quelques jours auparavant, les chefs d’Etats latino-américains, réunis au Foro de Biarritz, dénonçaient violemment les politiques européennes d’immigration orchestrées par le ministre français de l’immigration, Brice Hortefeux. Cible de leur courroux : « la directive retour », adoptée le 18 juin dernier, qui prévoit que les sans-papiers puissent se retrouver en rétention administrative pendant 18 mois, enfants compris. L’ancien président colombien, Ernesto Samper a même parlé de « satanisation » de l’immigration rappelant, au passage et à juste titre, que l’Amérique latine avait été le réceptacle naturel de nos émigrations notamment basques. Les intervenants européens ont eu beau expliquer que cette directive était bien plus destinée à endiguer le flot d’Africains (!) et d’Asiatiques, rien n’y a fait. Cette politique est toujours perçue, de l’Amérique latine à l’Afrique, pour ce qu’elle est : une politique strictement sécuritaire reposant sur de faux postulats. Car quelle est la réalité de l’immigration en France ?

Selon l’OCDE, la France se situe, avec deux entrées d’étrangers pour 1.000 habitants en 2002, tout en bas de l’échelle des pays de l’OCDE, juste avant la Finlande et la Hongrie ! A titre de comparaison, le Royaume-Uni compte huit entrées d’étrangers pour 1.000 habitants. Quant au regroupement familial, agité comme un épouvantail, il n’a concerné que 17.309 personnes en 2006. Mieux encore : les trois quarts du rapprochement familial concernent les conjoints de Français ! Un chiffre dérisoire à l’échelle de la France. Les flux migratoires n’ont donc pas l’importance qu’on veut leur donner et bon nombre de nos suppositions ou croyances en ce domaine trouvent leur origine soit dans une certaine propagande politicienne soit dans des raccourcis médiatiques. Hervé Morin, aujourd’hui ministre de la Défense, ne s’y trompait pas en déclarant en 2006 : « les lois pour contenir l’immigration ne sont que de la poudre aux yeux » tant que « des gens crèvent de faim à nos frontières », « on raconte des histoires aux Français en permanence sur l’immigration". Ce sont des discours pour les gogos. » Depuis, ces lois se sont encore durcies et Brice Hortefeux se félicitait du chiffre de 30 000 expulsions en 2007. Mais à quel prix ? Combien d’arrestations indues faut-il pour atteindre ce quota ? La police de l’air et des frontières n’hésite plus à interpeller des étrangers quittant d’eux-mêmes le territoire pour gonfler les chiffres en les faisant passer par la case Centre de rétention. Elle interpelle même des étrangers de passage en France alors qu’ils sont en situation régulière dans les autres pays européens !

Autant de méthodes qui ont indigné, cet été, le Comité des droits de l’homme de l’Onu en même temps qu’il s’inquiétait de voir la France renvoyer, sans hésitation, des étrangers « dans des pays où leur intégrité était en danger. »

Alors que se prépare à Paris, le 25 novembre prochain, la 2ème conférence ministérielle euro-africaine, il est grand temps pour la France et l’Europe de renouer avec les valeurs dont elles se prévalent : démocratie, droits de l’homme et libre-circulation.

Les migrations constituent, depuis toujours, un apport social, culturel et économique inestimable, tant pour les pays du Nord que pour ceux du Sud. Cet apport, pourtant historiquement reconnu, occulté aujourd’hui au profit d’impératifs sécuritaires fantasmés, traduisent une défiance et une suspicion généralisées vis à vis de « l’étranger ». Ce sont les libertés individuelles et collectives de chacun d’entre nous qui sont menacées quand on restreint les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des étrangers. Aujourd’hui, les poursuites judiciaires visant de simples citoyens qui viennent en aide aux sans-papiers sont presque quotidiennes. Les manœuvres pour écarter la Cimade des centres de rétention réduisent aussi notre champ de liberté puisqu’elles visent à supprimer tout regard critique. Quant aux discours qui instrumentalisent l’immigration et « l’étranger », l’Histoire nous a appris qu’ils sont le germe de haines civiles et de tempêtes sociales.

Tribune signée par les groupes locaux des Pyrénées Atlantiques de Terres des Hommes, Cimade, Survie, Attac et CCFD