Survie

Hommage à André Fine

Publié le 26 août 2011 - Survie

André Fine, président de Survie Isère et infatigable conférencier pour Survie partout en France, s’est éteint le 13 août 2011. Le texte ci-dessous est un hommage de Thomas, lu en son nom et en celui des militant-e-s de Survie Isère lors de la cérémonie d’adieu, qui tente de retracer le parcours d’André à Survie et de rappeler ses formidables qualités humaines.

Cher André,

Ça allait faire 6 ans qu’on se connaissait, toi et moi. Mais l’association Survie et toi, vous vous étiez rencontrés quand, au fait ? La plupart l’ignorent, à Survie Isère.

Alors on a mené l’enquête. On savait déjà que tu étais venu à Survie grâce à ton fils, Guillaume. Et nos archives attestent que tu étais venu, avec Christine, à une réunion publique que Guillaume avait organisée en 1996. Mais il a fallu attendre 1999 pour que tu viennes à des réunions internes. Et ce que les archives ne disent pas, c’est que c’est aussi grâce à Christine que tu es venu militer à Survie : quand Colette lui a expliqué que l’association traversait une phase de doute, avec des problèmes internes, c’est Christine qui lui a proposé de t’en parler. Elle disait que tu pourrais peut-être filer un coup de main. Et quel coup de main ! En 2000 tu rentres au conseil d’administration de notre groupe local, et en 2001 tu en deviens vice-président. Et c’est toi qui amènes ton ami Claude à s’impliquer, lui qui deviendra président de 2002 à 2005. Tu participes à l’organisation de conférences, où est invité François-Xavier Verschave, et tu t’impliques dans le combat pour la liberté d’expression quand son ouvrage Noir Silence est attaqué en justice pour « offense à chef d’état ». A ce propos, tu reparlais souvent de cette manifestation de février 2001, et de ta satisfaction que même un député de droite, qui « avait du être scotché par Verschave », pour reprendre ton expression, soit venu à vos côtés. Les députés, tu étais prêt à les rencontrer, pour les convaincre : dès 2002 tu t’impliques dans le plaidoyer, en interpellant les candidats, et tu n’hésiteras pas à le refaire en 2007 au nom d’un collectif d’associations iséroises, pour la campagne « urgence planétaire ». Tu as du mérite, parce qu’en 2009, on a été 3 ou 4 à vouloir faire ce travail d’interpellation : on est allé, parfois avec toi, rencontrer ces « représentants du peuple », mais franchement on en a eu marre ; même toi tu as reconnu, sans doute avec d’autres mots, que certains nous prenaient quand même pour des cons, par moment...

Revenons au début des années 2000 : tu ne veux pas être président de Survie Isère, mais tu sembles prêt à t’impliquer plus. En 2002 tu participes activement aux débats internes à Survie, plutôt houleux, sur ce qu’il se passe en Côte d’Ivoire... ou plutôt sur ce qu’il commence à s’y passer, car cela a continué jusqu’à présent. Tu t’impliques aussi dans le travail précurseur de Survie sur les biens publics à l’échelle mondiale, en donnant par exemple des conférences avec François Lille à ce sujet.

Ah, tes conférences !! Il y aurait tant à dire ! Tu multiplies tes sujets d’intervention : Françafrique, Paradis Fiscaux, les biens publics à l’échelle mondiale, complicité française dans le génocide des Tutsi du Rwanda, détournement de l’aide au développement, scandale de l’Angolagate... Combien sommes-nous à avoir été captivés par tes exposés lumineux sur des sujets pourtant rébarbatifs et bien sombres ?

Tu suis en cela les pas de ton ami François-Xavier Verschave. Et lorsqu’il est tombé malade, tu n’as pas hésité à t’impliquer davantage pour Survie. En acceptant – enfin !- de devenir président de Survie Isère en octobre 2005, et au niveau national en animant la délicate AG de Chamrousse, puis en participant activement à la plateforme sur les paradis fiscaux et en rentrant au conseil d’administration national à partir de 2006... Tu en démissionneras en 2009, à cause de cette saloperie de lymphome.

Mais en Isère, tu tiens bon : malgré tes appels à ce que quelqu’un te remplace, nous t’élisons président d’année en année. Il faut dire que tu fais ça si bien ! Malgré ton charisme, tu n’imposes pas tes points de vue -ou rarement, nul n’est parfait ; tu laisses volontiers se développer la collégialité et de nouvelles méthodes de travail, et tu exprimes souvent ton admiration pour le boulot accompli par « les jeunes » … Tu assumes ainsi pendant presque 6 ans de présidence, les risques juridiques d’une association avec un salarié, Sam, puis une autre, Audrey, au total pendant 4 ans.

Alors oui, comme tu faisais ça bien, et même si tu nous avais prévenus que tu serais sans doute peu présent dans les semaines à venir, nous t’avions réélu président fin mai, pour bien te signaler qu’on t’attendait parmi nous. On savait, comme toi, que le combat contre la maladie, c’est comme la quête de l’utopie politique que nous partagions : on a peu de chances de gagner, mais ça n’empêche pas d’y croire et de se battre, bordel !

Alors, depuis l’annonce de ta disparition, j’ai cherché comment te définir, comment te décrire, pour mieux rappeler ce qui nous séduisait en toi, pour mieux souligner tout ce qui va nous manquer, à présent. On m’a aidé : toutes les réactions qu’on a reçues, évoquent ces bons souvenirs que tu as éparpillés autour de toi à Survie, et les différentes facettes de toi que nous connaissions.

Il y a tout d’abord l’orateur, brillant conférencier ; on appréciait ta pédagogie, ta rigueur, ton souci de la vulgarisation. Devant n’importe quel public, d’une association anarchiste au colloque de banquiers suisses, ta clarté, ta capacité à prendre du recul, ta profondeur d’analyse, bluffaient l’auditoire.

Ensuite ta bienveillance, la chaleureuse considération que tu exprimais à l’égard d’un nouveau venu comme d’un militant de longue date... Et il faut bien sûr parler de ta générosité, toi qui insistais pour nous accueillir dans votre maison de ce Vercors que tu aimais tant, toi avec qui il fallait un peu s’engueuler pour te rembourser certaines dépenses !

Ta jovialité et ton amour de la vie ! Tu étais capable d’égayer, éventuellement à l’aide d’une bouteille de bon vin, une réunion dont l’ordre du jour semblait pourtant bien triste – et c’est cette jovialité à laquelle on s’accroche aujourd’hui pour essayer de surmonter notre tristesse...

Enfin, je crois que nous restons émerveillé-e-s... par ta capacité d’émerveillement, justement. Que ce soit à l’annonce d’une manifestation-suprise devant la mairie de Grenoble qui accueille un proche du dictateur burkinabé, ou à propos d’un concours de chiens de berger... pendant la Course contre la Françafrique l’année dernière, bien sûr... et jusque sur ton lit d’hôpital, à la simple annonce que Denis Robert avait gagné sa bataille judiciaire contre Clearstream... Chaque fois, on pouvait retrouver dans ton oeil rieur, cette étincelle d’émerveillement qui étonnait et séduisait.

Tout cela, tout ce qui te faisait et dont tu rayonnais, c’était finalement la très profonde, très belle humanité qui était la tienne. Toute cette humanité, André, tu la mettais avec nous au service d’un combat contre une politique justement déshumanisante et une économie de la haine, aveugles et sourdes aux crimes monstrueux qu’elles engendrent. Et cette humanité, André, nous manque déjà terriblement. Mais sois rassuré : malgré ça, malgré ce vide que tu laisses, on continuera à ne rien lâcher. Salut, André !

Thomas