Survie

Cameroun : Lettre ouverte de Paul Eric Kingué aux députés

Publié le 5 décembre 2011 - Survie

Au Cameroun, le maire RDPC (parti au pouvoir) Paul Eric Kingué croupit en prison depuis 2008, après avoir averti les autorités fiscales que les sociétés bananières françaises présentes sur sa commune bénéficiaient d’exonérations d’impôt indues depuis une trentaine d’années.
Si Survie ne se prononce pas sur les griefs qui lui sont officiellement reprochés, il nous semble en revanche essentiel de dénoncer l’acharnement judiciaire contre lui, depuis qu’il s’en est pris aux intérêts français présents sur place : pour cette raison, nous publions ci-dessous la lettre ouverte qu’il a fait parvenir aux députés camerounais le 24 novembre dernier.

La mise en forme est celle de la lettre telle qu’elle nous est parvenue.

— 

LETTRE OUVERTE AUX DEPUTES DE LA NATION

CRI DE DETRESSE DE PAUL ERIC KINGUE, EX-MAIRE DE NJOMBE-PENJA EN DETENTION ABUSIVE A LA PRISON DE NEW-BELL

Honorables législateurs, chers Députés…

Au moment où vous siégez à l’Assemblée Nationale pour la session de Novembre 2011, permettez-moi d’attirer solennellement votre attention sur l’injustice et l’acharnement dont je suis victime depuis Février 2008. Je m’en voudrais de ne pas porter à votre connaissance mes souffrances, mes frustrations et surtout mon effondrement, à la suite du décès à l’âge de 11 ans, de mon unique garçon, Paul Eric KINGUE Junior survenu en Mars dernier, des suites « d’erreur de transfusion sanguine  » à l’hôpital Laquintinie de Douala. Transfusion sanguine que je n’aurais jamais acceptée si j’avais été libre et à ses côtés, parce que fondamentalement opposé à cette pratique. Il faut dire qu’au moment où mon fils se rend à l’hôpital où aucune précaution d’examen de numération sanguine préalable n’a été faite, il n’est pas malade.

Le 28 Février prochain, j’aurai passé jour pour jour quatre ans dans les lieux de la détention sans fondement. Quatre ans, sans qu’à ce jour, il soit produit dans un procès contradictoire et équitable, la moindre preuve de ce qui m’est reproché. Quatre ans en somme de véritable fiction judiciaire qui n’a de comparable que le vaudou et le charlatanisme. Mais aussi et surtout, quatre ans de procès superposés et interminables, du fait de dilatoires savamment entretenus par mes bourreaux décidés de détruire ma vie.

Honorables législateurs et chers députés,

Je vous écris ce jour parce que convaincu que votre légitimité vous met en posture de connaître des injustices et des abus dont sont victimes au quotidien, les citoyens dont vous êtes l’émanation. Vous êtes des élus des populations camerounaises dans leur ensemble et, la tribune que vous offre vos fonctions ainsi que vos missions vous oint fatalement du sensible et périlleux devoir de veiller sur la vie de vos concitoyens, d’où qu’ils soient, quels qu’ils soient, et quelle que soit leur appartenance politique.

Au moment de mon interpellation, j’étais Maire élu du RDPC (et pour votre information supplémentaire, candidat élu aux primaires des législatives de 2007 à Njombé Penja ; Président local de sous-section enfin.

Après ma prise de fonction à la commune de Penja, et au terme du passage en revue de celle-ci, il m’a été donné de constater la faiblesse des revenus de cette collectivité pourtant riche, mais dont les populations croupissent paradoxalement dans une misère insupportable.

Révolté devant cette situation intenable, j’ai commis une expertise fiscale qui a conclu que ma commune perdait depuis 30 ans 2.700.000.000 FCFA (deux milliards sept cent millions de FCFA) par an, du fait du non payement par les plantations de bananes françaises locales (PHP, SPM, CAPLAIN) des impôts locaux.

A titre d’exemple, ces Entreprises qui ont produit en 2007 environ 207 milliards de nos francs de chiffre d’affaire, n’ont reversé ni à la commune de Penja, ni à l’Etat du Cameroun le moindre centime en terme de patente ; pire, elles en sont exonérées depuis 30 ans.

Après avoir dénoncé ces multiples exonérations dont bénéficient illégalement ces Agro-industries et les facilités qui leur ont indument été accordées par quelques fonctionnaires corrompus au plus haut niveau de l’Etat, j’ai personnellement saisi en Novembre 2007 le Premier Ministre chef du Gouvernement qui, à l’époque des faits, a instruit le Direction Générale des Impôts d’élucider la situation portée à sa connaissance et qui, selon ses propres termes, lui semblait être une véritable maffia.

Le 03 Décembre de la même année c’est-à-dire 30 jours seulement après, en réaction de ma requête, le Directeur Général d’alors, Sieur LAURENT NKODO après avoir trouvé ma démarche fondée au vu des textes légaux que j’avais produits, a reversé au régime de droit commun, les entreprises locales incriminées avec pour conséquence immédiate, la levée de toutes les exonérations initialement accordées à celles-ci (cf lettre jointe du 03 Décembre 2007). Depuis mon arrestation cette instruction est restée lettre morte c’est-à-dire non appliquée, et ce au détriment de la commune dont j’avais la charge.

Bouleversés par mon opiniâtreté à redonner à ma commune ce qu’ils empochent individuellement et par an depuis 30 ans, les responsables de la PHP, SPM et CAPLAIN et leurs alliés aussi bien au MINTATD, aux forces armées qu’aux magistrats, pour obtenir d’une part ma révocation au mépris de l’article 94 de la loi n°2004-18 du 22 Juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes-section 3 – de la suspension, de la cessation des fonctions et de la substitution de l’exécution municipal qui prescrit pourtant et sans restriction aucune, l’obligation du contradictoire en cas de violation des lois et de fautes lourdes par le maire.

Pour m’interpeller, il a fallu mettre à contribution l’armée dont 12 camions et six pick-up plein d’hommes en tenue et sur instruction du ministre Rémy Ze Méka le 28 Février 2007, alors que j’étais sans arme, sans armée, sans milice.

Pour achever de me détruire, les magistrats du Moungo, englués et « mouillés » jusqu’au cou par la « sève de banane » - suivez mon regard – ont été réquisitionnés pour fabriquer des procès les uns après les autres, afin qu’il ne me soit pas possible d’être libéré avant longtemps.

Pourtant, au terme du premier procès portant sur les émeutes de Février 2008, malgré l’absence totale de toute accusation de témoins du Ministère public contre moi, j’ai été condamné à 6 ans d’emprisonnement ferme à Nkongsamba, peine réduite à 3 ans à la cour d’appel du Littoral et frappée dans les délais légaux du pourvoi en cassation. Les Magistrats de ma collégialité n’ont pas manqué de déclarer publiquement et je cite : « on ne voulait pas faire perdre la face à l’Etat dans ce procès vide et sans preuves ».

Un second procès initié par le TGI du Moungo porte sur l’accusation de détournement de 1.400.000 FCFA (un million quatre cent mille francs CFA), à peine ce qu’il faut pour nourrir un chien. Ici, j’ai été condamné à 10 ans d’emprisonnement ferme, sans que la moindre pièce prouvant que j’ai été en contact avec la somme querellée ait été versée au dossier au cours des débats.

Dix ans dont l’objectif est de ne pas me voir revenir « embêter les bananeraies françaises ». A ce jour, ce procès est en appel et après audition des témoins de l’accusation, tous déclarent ne m’avoir jamais remis la somme querellée. Et depuis c’est la débandade… Le représentant du ministère public est porté disparu, alors qu’il lui est demandé de présenter ses réquisitions intermédiaires depuis deux mois. Renvoyé au 19 Décembre 2011, il faudra peut-être finalement pour ce procès quatre mois pour des réquisitions intermédiaires du ministère public.

Au même moment se prépare à Nkongsamba une nouvelle condamnation qui vient trahir le complot, la persécution et l’acharnement politico judiciaire en marche pour m’écraser. Dans cet autre procès, il m’est reproché d’avoir détourné 4.960.000 FCFA (quatre millions neuf cent soixante mille francs CFA), don d’une entreprise locale, qui avait pour objectif d’installer un réseau d’eau SNEC à l’hôtel de ville de Penja. Ce réseau d’eau est installé et toutes les pièces, y compris le procès-verbal de réception définitive des travaux sont là pour le prouver. Pourtant, aveuglés par la corruption, les Magistrats du Moungo s’apprêtent à me condamner une nouvelle fois et cette nouvelle condamnation est programmée pour le 16 décembre 2011 (affaire à suivre). L’objectif étant, comme je l’ai dit plus haut, d’empêcher que je revienne dans cette commune qui est la source d’enrichissement d’un groupe d’individus dont au-moins 2 sont vos collègues à l’Assemblée Nationale.

Face à une telle injustice et un tel acharnement, je vous écris afin que du haut de votre tribune, vous preniez fait et cause pendant cette session ou celle à venir, du cri de détresse d’un élu qui n’a voulu faire que son travail et en toute conscience.

Souvenez-vous cher(e)s élu(e)s et comme nous l’a si bien appris Martin Luther King, « Une injustice commise quelque part est une menace pour la justice dans le monde entier ».

En attendant de vous voir vous approprier mes peines et ma souffrance, veuillez croire Honorables Législateurs et chers Députés, à ma parfaite considération.

Le Prisonnier Politique Paul Eric KINGUE, otage du régime.

a lire aussi